"O-Yoné et Ko-Haru", l'Asie sublime de Wenceslau de Moraes

Placés sous le haut patronage de Lafcadio Hearn, « le conteur de génie des choses japonaises », les écrits de Wenceslau de Moraes sont d'un exote qui se dépouille autant que peut de la culture qui est la sienne pour s'inscrire sans rupture dans le paysage culturel et géographique qui sera désormais le sien, le Japon des provinces tranquilles qu'il choisit pour finir ses jours.

Rappelant par de nombreux côtés le poète Victor Segalen en terre de Chine, Moraes n'est ni touriste (terme qui apparaît en français dans le texte avec une distance ironique et critique assez ferme) ni résident étranger gonflé de quelque fonction, il se laisse oublier dans un quasi ermitage et avance, nonchalant, vers l'âge où il pourra rejoindre en sa dernière demeure celles qu'il a aimées. Car le Japon c'est surtout, d'abord, deux Japonaises, O-Yoné qu'il épouse dès son arrivée, et Ko-Haru, sa nièce, avec qui il vivra après le décès prématuré de  son grand amour, et qui décèdera assez vite également. L'ancien officier de la marine portugaise se retrouve seul, en terre lointaine, habité des fantômes de ses amours et de la terre natale où demeure sa sœur chérie, antinomique parce que très urbaine :

« […] m'accompagnaient alors, comme toujours mais de façon plus intense en ce jour de fête, le souvenir de ma sœur absente et le souvenir de mes mortes. A un moment donné, je me surpris même à esquisser un sourire, répondant ainsi à ceux, venus de loin, que j'imaginais m'être destinés […] »


En fin observateur des choses quotidienne, Moraes est habité par cette présence constante et amoureuse qui donne une certaine mélancolie nimbée de beauté à ses récits, manière de saudade lusitanienne à la mélancolie parfaitement maîtrisée et qui sert, aussi, à l'auteur, pour le réalisme de ses reportages sur les choses simples de la vie.

Car il s'agit bien de reportages, de lettres d'un voyageur immobile publiées dans la presse portugaise et constituant de nombreux volumes un portrait du Japon des provinces, avec des portraits du peuple, des paysages, des habitudes culturelles ou religieuses, des faits de tous les jours inscrits dans le temps et constituant pour le regard extérieur un miracle quotidien, des résidents étrangers dont le ridicule est assez suave, et dont le rapport au Japon est pour le moins étrange : attaché à cette terre lointaine par quelque fonction diplomatique ou commerciale, l'étranger veut à toute force s'en défaire, retourner au pays, pour vite subir la magie nippone et vouloir revenir.... Moraes est nommé au Japon après une longue mission en Chine, consul intérimaire du Portugal  en mai 1899 après de longues requêtes : c'est là qu'il veut finir sa vie. Et sitôt sa retraite possible, il rend ses mandats et même sa nationalité et reste pour ne plus se consacrer quà l'observation et à l'amour de cette terre antipodique.

De ses notations, qui touchent tous les sujets, naît un Japon des humbles, des petites gens, du quotidien, d'où se dégage une idée générale assez belle de la vie de province. Des études plus précises sur l'honneur, sur la belle-mère (un texte très cruel et drolatique d'une grande saveur), sur les rites des morts, se mêlent à des peintures  plus directement émues, comme celle de la mousmée :

« Les mousmés évoluaient, gracieuses comme toujours, chimères vivantes des plus séduisantes ; avec cette touche d'élégance particulière qui fait d'elles non seulement les femmes les  plus charmantes de toute l'Asie, qui  est immense, mais  aussi du monde entier, qui l'est plus encore… »

Parfaitement inconnu des lecteurs français non lusophones, Wenceslau de Moraes trouve dans ce recueil présenté avec soin, une belle introduction  à son œuvre encore à découvrir. Lisible par tous, voyageurs ou non, éris ou non du Japon éternel, d'une langue très agréable et fine, souvent drôle et acérée, ces récits comblent par leur intelligence et leur finesse. La suite est attendue avec  la plus grande impatience.

Loïc Di Stefano

Winceslau de Moraes, O-Yoné et Ko-Haru, traduit du Portugais et présenté par Dominique Nédellec,
Phébus, mai 2005, 139 pages,13,50 €

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