"Le Vieux jardin", le roman de vingt ans d’histoire politique de la Corée du Sud

O Hyônu, condamné à perpétuité en 1980 pour des actions politiques pendant la dictature militaire en Corée du Sud, est libéré de prison après avoir passé dix-huit années derrière les barreaux. Il apprend que l’amour de sa vie Han Yunhi est morte des suites d’un cancer trois années auparavant, morte sans qu’il n’ait jamais pu la revoir, sans que jamais elle n’ait pu lui rendre visite pendant tout le temps de son emprisonnement.

O Hyônu va se rendre dans la maison, situé dans un village de montagne reculé, où cette femme l’avait recueilli alors qu’il était recherché par la police. Il va découvrir les carnets que Han Yunhi a rédigé pendant toutes ces années pour raconter l’histoire de sa vie sans O Hyônu qu’elle a aimé et de qui elle aura eu un enfant.

Les récits des deux narrateurs vont alors se succéder pour nous faire découvrir près de 20 ans d’histoire politique de la Corée du Sud. Grâce aux carnets de Han Yunhi, nous allons apprendre quelle forme a prise la lutte politique clandestine sous la dictature de Chon Tuhwan, général dont le règne (1980-1998) a été marqué par le massacre de Kwangju, capitale de la province de Cholla, où plusieurs centaines de personnes ont été tuées (peut-être deux mille selon certaines sources). O Hyônu, quant à lui, nous donnera une description très précise des conditions de vie d’un prisonnier politique dans les geôles de la dictature coréenne des années 1980-2000.

Alors qu’en occident, tous les regards étaient portés vers la Pologne, un pays lointain souffrait (presque) en silence, et peut-être plus durement encore. Hwang Soh-Yong nous fait découvrir un pays qui n’a connu que calamités depuis la deuxième guerre mondiale. Divisé, meurtri par une guerre fratricide, tenu fermement en main par les Etats-Unis, ce pays qui, surprise, est majoritairement chrétien, aura dû attendre près de 40 ans pour connaître un début de démocratisation.

Mais, si Le Vieux Jardin est un livre attachant, c’est avant tout parce qu’il tient bien ses distances avec tout ce qui pourrait en faire un livre militant. L’auteur - qui a lui-même fréquenté les prisons pendant 5 ans pour s’être rendu en Corée du Nord ce qui entraînait une condamnation pour espionnage -, ne revendique pas. Il parle des années de souffrance, de privations, des semaines de torture avec retenue, froidement, cliniquement pourrait-on dire. On sent qu’il éprouve le besoin de relater avec le plus de fidélité possible, sans pathos, le quotidien de la prison. O Hyônu le narrateur décrit, à Han Yunhi échoit le rôle de nous faire sentir que ce sont des existences auxquelles le bonheur était promis qui ont été brisées. Mais, des existences qui gardent espoir, qui trouvent la force de croire en la vie malgré les épreuves violentes.

On ne peut-être que touché jusqu’aux larmes par ce livre. Il ajoute un chapitre au Livre noir de l’État au XXe siècle. On regrettera quelques longueurs, des personnages secondaires auxquels on croit moins. Mais, ce livre nous permet de comprendre les espoirs de toute une génération et même de la génération qui l’a précédée (voir le portrait du père de Han Yunhi) d’un pays lointain, presque totalement inconnu pour la plupart d’entre nous. On est étonné par la témérité de ces jeunes gens qui, avec des moyens dérisoires dont on ressent tout le caractère pathétique, essayaient de renverser un pouvoir qui disposait d’une puissance de feu et de renseignement sans commune mesure ; qui, en fait, en s’opposant aux généraux en place, osaient s’attaquer directement eux Etats-Unis qui dirigeaient le pays dans l’ombre.

C’est aussi une belle histoire d’amour tragique, un odyssée qui prendra fin trop tard pour un homme et une femme.


Philippe Menestret


Hwang Sok-yong, Le Vieux jardin, traduit du coréen par  Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot, Zulma, septembre 2005, 608 pages, 23 € 




Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.