Interview - Virginia Bart, cathartique

Un père marginal, une fille délaissée, une relation chaotique, les années 1970… Virginia Bart, journaliste de 37 ans, n’a pas choisi la facilité pour son premier roman.

 

 

— Quelle est la part d’autobiographie dans ce premier roman ?

Ici, pour le coup, la part strictement autobiographique est plutôt réduite. À l’exception de quelques scènes inspirées de mon enfance et de mon adolescence, je n’y raconte pas ma vie. On ne sait pas par exemple quel métier exerce la narratrice, si elle a des enfants, quel est son mode de vie aujourd’hui. Il faudrait, en fait, davantage parler de biographie ou de portrait romancé. Puisqu’il s’agit d’un livre inspiré de la vie de mon propre père qui est le personnage central du récit.

 

— Comment traitez-vous le matériau que représente votre propre expérience lorsque vous écrivez ?

Comme beaucoup d’auteurs, je pars souvent d’une structure ou d’épisodes réels que je malaxe et transforme pour les rendre romanesques. Car il n’y a rien de plus terne que la réalité. C’est d’ailleurs le rôle de la littérature que de recréer la vie en la rendant plus grande, plus palpitante, plus électrique. Plus profonde aussi…

 

— Quel a été votre parcours jusqu’à ce roman qui n’est pas votre premier livre ?

Je veux écrire des romans depuis l’âge de 16 ans. Mais dans le milieu dont je suis issue – les classes moyennes de province –, c’était loin d’être une évidence de devenir écrivain. Par la suite, et pendant toute la durée de mes études de lettres et de philosophie, cette envie était toujours présente. Le problème, c’est que l’université et plus largement le système éducatif ont tendance à écraser les étudiants avec les auteurs classiques. Du coup, une fois qu’on a lu quantité de chefs-d’œuvre et de classiques, on se demande ce qu’on va pouvoir raconter de mieux… et surtout pour quoi faire. Cette obsession de l’enseignement des classiques que l’on retrouve chez beaucoup de professeurs de lycée ou de fac est, à mon sens, assez inhibante et ne favorise pas l’éclosion d’un désir d’écriture. Je trouve d’ailleurs assez rétrograde qu’en France, les écrivains d’aujourd’hui ne soient pas davantage évoqués en cours ou invités à parler de leur travail dans les universités, comme cela se pratique aux États-Unis.

Si je suis écrivain aujourd’hui, c’est aussi parce que je suis, entre temps, devenue journaliste. Cela m’a beaucoup aidée à faire de l’écriture quelque chose de quotidien, et surtout de familier. Ensuite, j’ai pu publier (sous un autre nom), deux livres sortis en 2005 et 2006, des essais qui, dans la forme et le fond, étaient très proches du journalisme. Mais ils m’ont permis d’exercer ma plume un peu différemment et d’appréhender ce que cela pouvait être, en terme d’investissement personnel, de mener un livre de bout en bout. En les écrivant, je savais déjà que mon livre suivant serait un roman.

 

— Comment vous est venu le déclic, l’envie d’écrire ?

Le déclic s’est produit quand je suis arrivée à Paris en 1999 et que j’ai commencé à côtoyer, dans les publications pour lesquelles je travaillais et surtout à Marianne, des journalistes qui eux même écrivaient des livres et des romans. Je pense notamment à Dominique Jamet, Benoit Duteurtre ou Yann Moix. Certains de ces journalistes étaient parfois très jeunes, comme Clara Dupont–Monod qui venait de sortir le sublime La folie du roi Marc. J’ai alors constaté que je n’étais, selon l’expression populaire, « ni plus bête ni plus intelligente ». D’autre part, le naturel avec lequel ils évoquaient leurs livres m’a laissé enfin entrevoir la possibilité pour moi d’écrire autre chose que des articles. Finalement, ce sont les journalistes parisiens qui m’ont décomplexée…



— Pourquoi avoir choisi la figure du père, et au-delà le contexte familial, l’enfance, pour un premier roman ?

Le père, c’est le sujet universel ; et la lettre ou le portrait du père, une figure incontournable de la littérature. Or, avec l’histoire de mon père, un marginal jamais revenu des années hippie et vivant comme un sauvage dans les montagnes espagnoles, je tenais un excellent sujet…

 

— Qu’avez-vous eu envie de dire au-delà de cette histoire ?

D’abord que même si on a eu un père absent, en marge et hors la loi, une transmission est possible… La figure du père dans le roman est le prototype du « salaud bon à rien », abandonneur d’enfants, et c’est aussi un criminel. Dans le même temps, il s’est forgé, en trente ans de vie sur la route, à la dure, un corps et une solidité mentale à toute épreuve. Ce que ce personnage enseigne, c’est qu’on peut rater sa vie socialement mais la réussir par d’autres aspects moins quantifiables. Il nous dit aussi que la conscience, c’est aussi le corps. C’est un personnage qui, d’autre part, devient un peu ascète en vieillissant, et cet état de paix mentale et physique est recherché par beaucoup de citadins… ce qui assez ironique, surtout quand ils sont prêts à dépenser des fortunes en cours de relaxation ou en retraites dans des monastères. Mais comme il y a toujours un prix à payer, le personnage du père n’a pu avoir cette vie-là qu’en abandonnant femme et enfants.

L’autre aspect que je voulais absolument évoquer, ce sont les conséquences – parfois catastrophiques – du mouvement hippie sur les enfants issus des milieux modestes de province. À Paris, le mouvement hippie et plus généralement les courants protestataires des années 1960 et 1970 ont été le fait de la bourgeoisie, de jeunes gens bien intégrés qui ont pu faire la révolution, partir en Inde, faire du fromage ou se droguer dans le Larzac, et ensuite reprendre un itinéraire normal grâce à des études ou à des réseaux. Certains, comme Serge July ou Cohn-Bendit, ont même fait de cette période un fonds de commerce… Dans les milieux modestes, le voyage n’avait souvent pas de billet retour et beaucoup de jeunes gens ont été en quelque sorte « sacrifiés » sur l’autel de la liberté.

 

— J’ai été surpris par la quasi-absence de dialogues.

Étant donné que le livre est construit comme un portrait, cela ne m’a pas paru nécessaire ; et puis il y a beaucoup de très grands livres qui comportent peu, ou pas, de dialogues, comme Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq.

 

— Quels sont les auteurs qui vous ont façonnée ? Ceux qui vous inspirent aujourd’hui ?

Surtout Albert Camus. Je suis fascinée par son écriture blanche. Sa manière de faire des livres qui se passent dans le sud et le plus souvent en Algérie sans tomber dans le régionalisme. Plus jeune, j’ai aussi été éblouie par des auteurs comme Proust, Flaubert et surtout Thomas Mann. La lecture de La mort à Venise a par exemple été un grand choc esthétique, provoquant même chez moi une sorte de petite dépression. Pour autant, ces auteurs-là n’ont aucune influence sur mon travail actuel.

Aujourd’hui, l’écrivain qui me fait dire que la littérature française est toujours vivante, c’est Michel Houellebecq. Quand je l’ai découvert au moment de la sortie des Particules élémentaires, j’ai eu l’impression, en tant que lectrice, que j’avais enfin trouvé l’écrivain qui arrivait à exprimer tout ce que je ressentais. Plus généralement, son œuvre entière, à l’exception de Plateforme, me bouleverse. D’abord parce qu’elle aborde une réalité sociale moyenne un peu oubliée dans la littérature, ensuite parce que Houellebecq traite des deux grandes questions existentielles qui nous taraudent tous : la mort et le désir. Et puis il y a son écriture, a priori « plate » et banale, mais tellement signifiante. Houellebecq, c’est vraiment un tournant dans la littérature française… Ensuite, chez les Américains, je suis amoureuse de Kerouac pour sa prose mystique et enfiévrée et de Jim Harrison pour ses récits familiaux sinueux et complexes et sa langue rude.

 

— Êtes-vous une grande lectrice ? Considérez-vous que la lecture doive nécessairement précéder l’écriture ?

Oui, je lis vraiment de tout, parfois jusqu’à trois livres par semaine. Des classiques, des contemporains, des Français, des étrangers, des biographies. J’ai relu récemment Madame Bovary et Lolita. Et là, je viens de finir Mort de Bunny Munro de Nick Cave. Oui, la lecture nourrit forcément l’écriture, elle pousse à la réflexion. À ce titre, j’aime aussi lire et même terminer des livres qui ne me plaisent pas ou que je trouve mauvais. Cela me renforce dans l’idée de ce que je n’ai pas envie de faire… Après, quant à savoir si la lecture doit précéder l’écriture, je ne sais pas… Il existe sans doute des écrivains qui arrivent à écrire sans culture littéraire, comme il existe par exemple des footballeurs qui ne regardent jamais un match de football et connaissent mal l’histoire de leur sport.

 

— L’écriture est-elle chez vous une seconde peau ? Êtes-vous constamment en éveil, prenez-vous beaucoup de notes, vous astreignez-vous à une régularité ou est-ce par à-coups ?

Je ne comprends pas ces écrivains – mais je dois avouer qu’en même temps, ils me fascinent – qui écrivent quatre heures par jours tous les jours quoiqu’il arrive, parfois aux aurores… Pour moi, c’est vraiment très cathartique. Je commence par avoir une idée, elle murit parfois pendant plusieurs mois. Et à un moment, il faut que j’écrive. Mais même dans ces phases de travail, je n’écris pas tous les jours. Pour ce qui est des notes, je n’en prends pas, pour la simple et bonne raison que je considère que la littérature, même si elle s’inspire du réel, n’est pas du reportage. D’autre part, il ne me vient aucune formule fulgurante au beau milieu de la journée qui mérite que je me promène avec un carnet dans la poche… Chez moi, chaque phrase est un long travail de maturation.

 

— Votre prochain roman ?

Je n’en sais rien encore. Mais sans doute sera-t-il encore question de marginalité. L’ordre social me passionne.

 

Propos recueillis par Joseph Vebret

(Août 2010)

 

Virginia Bart, L’homme qui m’a donné la vie, Éditions Buchet Chastel, août 2010, 208 p., 14.50 €

 

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