Takuji Ichikawa et "Je reviendrai avec la pluie" : un conte japonais qui nous révèle comment un pinguin parvient à voler dans le ciel


"J'étais un pingouin qui volait dans le ciel. 

Je m’étais élevé à sa suite jusqu’à des altitudes inespérées.

Je m’étais rapproché des étoiles.

Et de là-haut, les choses sales et laides qui encombrent la Terre, toutes les choses qui troublent le cœur ressemblaient à une magnifique tapisserie.

C’était le bonheur.

Puis elle a disparu, et je suis redevenu un pingouin ordinaire. La tristesse m’a rendu visite, mais il me restait les souvenirs du ciel, ainsi qu’un petit garçon qui ressemblait beaucoup à cette femme aux ailes qui fendent l’air."

 

Takumi, le narrateur, "un garçon à l’éclosion tardive", partage sa vie avec son seul et unique amour, Mio, devenue sa béquille. Elle redresse son côté trop bancal et compense son corps trop sensible. Mais un jour elle part, emportée par une maladie. Takumi se retrouve livré à lui-même avec, à ses côtés, Yuji son fils de six ans. Avant de quitter ce monde, Mio a tout de même fait une promesse : elle reviendra à la saison des pluies…

 

Avec douceur et bienveillance, l’auteur dépeint une histoire d’amour incroyable entre deux humains hors normes que rien ne pourra séparer, même pas la mort. N’existerait-il qu’un seul être sur terre dont nous pourrions retomber amoureux à toutes les époques, en toutes circonstances ? Si l’autre devient notre moitié et nous aide "à voler dans le ciel et nous rapprocher des étoiles", qui sommes-nous sans lui ? Sa présence est-elle indispensable pour nous élever ? Takuji met en lumière qu’au-delà de l’amour c’est surtout une harmonie et un rythme commun qui installent le bonheur dans un couple. Il n’existe aucun mode d’emploi dans l’amour, il n’y a que ce qui nous semble être juste.

 

"Cet amour entre deux personnes sérieuses, banales, à l’éclosion tardive, s’épanouissait avec tempérance, dans la quiétude et la lenteur. Peut-être était-ce un luxe, dans ce monde agité."

 

Ce roman d’apparence naïve révèle une profonde réflexion sur la condition humaine. L’auteur aborde les questions de temps, de réalité et de foi. Les choses sont-elles prédéterminées et peut-on les empêcher de se réaliser ? Qui tient les ficelles de notre existence ? Qu’est-ce qui distingue la réalité du rêve ou de l’illusion ?

 

A travers l’extrême réceptivité du narrateur, sa fragilité physique et ses handicaps, l’auteur se demande comment vivre avec une si grande sensibilité dans un monde tel que le nôtre. Comment transformer cette sensibilité en atout quand elle semble être une faiblesse ou un frein pour s’adapter à notre entourage ? Takuji Ichikawa nous donne un conseil évident et pourtant si difficile à suivre parfois : continuer à vivre coûte que coûte. Persévérer malgré la perte d’un être cher, malgré la maladie… Oui, même si nous nous sentons trop fragile, et si, sur la route sinueuse de l’existence, notre cœur ralentit et notre corps s’écroule sur le trottoir, oui, même là, nous pouvons encore rassembler nos dernières forces pour nous relever et avancer. Tout simplement. Et si notre chemise est tachée, si nos cheveux sont ébouriffés, si nos yeux sont humides, peu importe, au moins, nous avançons.

 

"Mais que voulez-vous (…) Il faut bien vivre. En dépit de toutes les séparations, en dépit de tous les exils… "

 

Au fil de ma lecture j’ai trouvé ce roman, écrit comme un conte, parfois trop simplet et peu crédible. L’écriture manque, à mon goût, de poésie, mais est teintée d’humour. Si j’ai été très touchée par les personnages du narrateur et de son fils, j’émets des réserves quant à Mio, la femme-fantôme, trop détachée et froide dans un contexte où la sensibilité est à fleur de peau. Le récit manque parfois de subtilité mais gagne en profondeur grâce aux réflexions philosophiques. Comme dans tout conte, il faut lire entre les lignes…

 

Finalement, c’est peut-être Takuji Ichikawa qui parle le mieux de son livre. Dans la postface, il affirme en effet :

 

"Mon but premier était d’écrire une histoire divertissante, que les gens puissent lire avec plaisir. Ce roman reprend la trame d’une histoire de fantôme traditionnelle pour évoquer le temps et la mémoire. Il ne comporte ni maléfice ni violence (pour tout dire, il est plutôt sentimental). A mes yeux, pourtant, c’est ce qui lui prête son réalisme. Je suis ébahi, ravi qu’une voix émergeant naturellement de ma chair ait pu atteindre des contrées lointaines (…)"

 

Ses paroles m’auront au moins déridée !


Julia Germillon


Takuji Ichikawa, Je reviendrai avec la pluie, traduit du japonais par Mathilde Bouhon, Flammarion, février 2012, 322 pages, 19,50 euros

 

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