Jean Echenoz : 14 ou la guerre des gens ordinaires

La paisible bourgade de Vendée, avec son marché et ses notables, voit comme partout ailleurs en France la Mobilisation générale comme une affaire de quinze jours, et on n'en parlera plus. Les cinq compagnons qui sont mobilisés y croient fermement, c'est la lente désillusion et la plongée dans le réel que propose Echenoz, non pas tant les horreurs de la guerre mais les inquiétudes des hommes.

Avec son écriture délicatement ourlée, Echenoz n'élude pas la guerre, mais il en fait plutôt une présence sourde et prégnante, un second plan lourd et tenace dont les personnages vont tenter de s'extraire, comme d'une gangue. Mais pour ces personnages commun au possible, c'est le réel écrasant qui va les rendre à leur banalité. Pour preuve, cet extrait quand un aéroplane s'écrase alors que nous venions de suivre les turpitudes du pilote qui 

" [...] voit s'approcher le sol sur lequel il va s'écraser, à toute allure et sans alternative que sa mort immédiate, irréversible, sans l'ombre d'un espoir - sol présentement occupé par l'agglomération de Jonchery-sur-Vesle, joli village de la région Champagne-Ardennes et dont les habitants s'appellent les Joncaviduliens"

comme s'il fallait désamorcer le pathos...

Anthime, 23 ans, est le fil conducteur du roman, mais il y a aussi Charles, très snob, auprès duquel Anthime cherche toujours un regard et qui s'avèrera être son frère aîné. Leur retour est espéré par Blanche, fiancée de Charles mais dont on devine qu'elle éprouve quelque chose pour Anthime... Et puis il y a les trois amis, 
Padioleau, Bossis, Arcenel, trois aimables suiveurs, qui ne sont pas là "pour le décor" mais pour "faire troupe" de copains.

L'écriture d'Echenoz a ceci de précieux que les menus détails du commun prennent une valeur poétique, et c'est ce commun, les gens ordinaires pris dans une affolante expérience extraordinaire, car aucun des personnages n'est en soi remarquable et leur destinée non plus, qui est pour ainsi dire le vrai sujet de ce beau roman.

Loïc Di Stefano

Jean Echenoz, 14, Editions de Minuit, septembre 2012, 128 pages, 12,50 euros

En complément : 
  • lire les premières pages
  • regarder l'entretien avec la Libriarie Mollat de Jean Echenoz à propos de 14

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4 commentaires

Voilà qui donne tout simplement envie!

Autre extrait significatif de la belle écriture et de ce parti pris de décaler

"Ne fût-ce qu'à cause de ses deux-là, le pou, le rat, obstinés et précis, organisés, habités d'un seul but comme des monosyllabes, l'un et l'autre n'ayant d'autre objectif que ronger votre chair ou pomper votre sang, de vous exterminer chacun à sa manière - sans parler de l'ennemi d'en face, différemment guidé par le même but -, il y avait souvent de quoi vous donner envie de foutre le camp."

Je ne comprends pas bien que l'on considère Echenoz comme un grand écrivain. Genre je sais pas moi (Proust ou Mathias Enard). C'est un peu élégant; mais sinon... Qu'est-ce que c'est que cette région "Champagne-Ardenne" qui surgit au détour d'un chapitre? ça n'existait pas à l'époque. Il y a comme ça des choses bizarres et le style est franchement appliqué pour une lecture de lycéen mais sans plus.  Je m'attends à chaque fois à un grand livre. C'est tout au plus un bon livre; oui, ce n'est déjà pas si mal.

merciii chere ;)