La maison des feuilles : Ceci n’est pas pour vous

On vous aura avertis. Vous voilà prévenus. Ce sont les mots qui précèdent l’introduction de ce roman-monstre, écrit durant les années 1990, publié à grand peine aux États-Unis en 2000, édité en France par Denoël en 2002 et entièrement repris cette année par Monsieur Toussaint Louverture, qui l’a fait retraduire, en a donné les annexes, a composé une édition remastérisée en couleurs, laquelle comporte aussi d’incroyables fantaisies de mises en page que nous ne pouvons reproduire ici.
Entre vos mains calleuses, cela représente un pavé de 17 x 23,5 cm et 4 cm d’épaisseur, de sorte que pour le caler, il vous faudra au moins deux oreillers et un lutrin. Mais que diable raconte ce roman ? Eh bien, cela se présente au départ comme un paquet de feuilles trouvé par un certain Zampano dans une maison abandonnée. Selon lui, ces liasses content l’histoire de ce qui est arrivé à la famille Navidson, qui emménageait dans une gentille maison en Virginie. Will, Karen et leurs enfants ne tardèrent pas à comprendre qu’ils avaient trouvé là une maison… bizarre.
Mais alors, vraiment bizarre.
Un mur se décale, de nouvelles portes apparaissent, et au bout de quelques semaines, c’est un immense labyrinthe de plusieurs étages, aux entrées nombreuses, que Will Navidson, plus tard aidé de ses amis, se met en tête d’explorer.
Bon, bon, on entend parfois des hurlements dans ce labyrinthe, on y sent d’innommables effluves, mais bah ! Explorons ! semble penser Will. Sa femme, pour sa part, hésite. N’en disons pas plus : de monstrueux, ce récit pourrait devenir fastidieux. Car en plus de cette maison à dormir debout, les narrateurs divers et variés qui interviennent n’importe quand, notamment le répugnant Zampano, font état des innombrables réactions des experts qui ont suivi l’exploration de la maison par Navidson : celui-ci mettant en ligne des vidéos très surprenantes, voire ahurissantes, que des centaines de critiques de cinéma, d’architectes, d’anthropologues et autres ivrognes, vont pondre au sujet de cette Maison des Feuilles.
Pis encore, un immense appareil critique, composé de quantité de citations toutes inventées sauf quelques-unes, accompagne ce roman, qui finit par fasciner par son impudence : comment Danielewski a-t-il pu aller aussi loin dans la supercherie ? Quelle folie a pu le pousser à composer ce mille-feuilles ? Comment Claro, excellent traducteur, a-t-il pu oser restituer ce salmigondis ? Comment un éditeur, d’exceptionnelle qualité il est vrai, a pu risquer de sortir pareil pavé, avec des astuces typographiques et des mises en page délirantes qui eussent fait pâmer M.C. Escher ou Dragan Aleksić ?
On lira donc ce monstre jusqu’au bout. Bien entendu, la destinée de Navidson est gratinée, (pauvre Karen !), et les cent dernières pages ne sont pas piquées des vers. À vos brouettes ! Vous en transporterez bien, pour vos amis, deux ou trois exemplaires ?

Bertrand du Chambon

Mark Z. Danielewski, La Maison des Feuilles, éd. Monsieur Toussaint Louverture, août 2022, 693 p.-, 27,50 €

Précédente publication chez Denoël, 2001

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