Le livre d'Hanna - un livre qui traverse les siècles

Au nom du livre

Le livre est le véritable héros de ce magnifique roman de Geraldine Brooks. Correspondante de guerre pendant 14 ans pour le Wall Street Journal, elle se lance dans l’écriture et obtient le prix Pulitzer en 2006. Nous n’avons donc pas affaire à n’importe qui et son dernier roman ne fait que le confirmer. C’est alors qu’elle couvrait le conflit bosniaque que Géraldine Brooks a entendu parler pour la première fois d’un manuscrit hébreu connu sous le nom de la Haggadah de Sarajevo. On ne savait alors où il se trouvait. Ce n’est qu’une fois la guerre terminée que l’on apprit qu’il avait été sauvé des bombardements par un bibliothécaire musulman. Il s’agit du point de départ du Livre d’Hanna.

Des bombes aux phosphores à l’inquisition

Hanna Heath est conservatrice de manuscrits anciens. Elle les restaure et recherche tous ce qui pourrait lui permettre de retracer leur parcours, de la tâche faite par un utilisateur maladroit au vélin utilisé pour sa rédaction. Elle se voit confier une mission qui n’arrive qu’une fois dans la vie d’un conservateur : restaurer l’un des volumes les plus rares et les plus mystérieux du monde, la Haggadah de Sarajevo qui vient juste de réapparaître. Le texte d’une haggadah retrace la sortie des Juifs d’Egypte, il est lu lors du repas pascal mais cette haggadah a cela de particulier : elle est enluminée alors que l’on était persuadé que les images étaient interdites à l’époque médiévale dans les textes juifs.

Lors de sa restauration, elle découvre les traces laissées par ceux qui l’ont tenue entre leurs mains au cours des siècles : l’aile d’un parnassius, les encoches destinées à des fermoirs mystérieusement disparus, une tâche de vin mêlé de sang, du sel, un poil de chat enfin. Chacune de ces traces permet aux lecteurs de retracer l’histoire de ce manuscrit, de sa réalisation par une esclave noire à Séville en 1480 à l’occupation allemande de Sarajevo en passant par Venise soumise à l’Inquisition et l’Espagne des rois catholiques.

Là où l’on brûle les livres…

Chaque personnage, au-delà de son appartenance religieuse, a fait en sorte que la Haggadah soit conservée et échappe aux autodafés nazie ou de l’Inquisition. Sérif Kamal, conservateur au musée de Sarajevo, a réussi à sauver le manuscrit à la barbe d’un officier nazi et l’a cachée dans la mosquée d’un petit village de montagne. Ici la fiction rejoint la réalité. L’inquisiteur vénitien qui appose le fameux « revisto per mi gio », la jeune adepte de la Kabbale qui le sauve de l’inquisition espagnole. Une façon de diffuser un message de tolérance et de compréhension entre les peuples.

Géraldine Brooks s’est appuyée sur un travail de recherche sérieux pour replacer ces personnages fictifs et imaginer ce qu’avait été son parcours autour de ce que l’on en savait. L’intrigue est passionnante et l’on se retrouve plongé non dans une mais plusieurs histoires. Le titre original (People of the book - le peuple du Livre) rendait d’ailleurs mieux compte de cet aspect. Cependant nul n’est parfait et une énorme erreur s’est glissée dans le dialogue suivant :

« Par coïncidence, l’homme qui a déclenché la Seconde Guerre Mondiale est né l’année où la Haggadah est arrivée ici, tu savais ça ?
- Vous parlez de l’étudiant qui a abattu l’archiduc à Sarajevo ? »

Il n’est pas nécessaire de rappeler qu’il ne s’agit pas de la Seconde mais de la Première Guerre Mondiale. Question de chipoter (et j’aime bien chipoter, mais c’est plutôt bon signe...), quelques notes de bas de page sont incohérentes : ainsi dans la phrase « sa main droite se tendit instinctivement vers la Mezouza, fixée au montant de la porte », Mezouza désignerait un mouvement de jeunesse juive dont on se demande comment il s’est retrouvé attaché à la porte (alors qu'il s'agit bien sûr d'un rouleau de parchemin sur lequel sont inscrits deux passages du Tanakh, issus du Shema Israel).

Arrêtons ici la séance de chipotage : Le livre d’Hanna est un roman magnifique à lire et qui mérite largement qu’on en fasse l’éloge.

Julie Lecanu

 

Géraldine Brooks, Le Livre d'Hanna, Belfond, juillet 2008, 414 pages, 22 euros ( paru chez Pocket en septembre 2010)



1 commentaire

Chipotons sur votre commentaire : la Mézouza désigne bel et bien un petit rouleau de parchemin contenant les premier et deuxième paragraphe du Chema. Elle se place à la porte d'entrée de la maison et dans chaque pièce excepté les sanitaires et buanderies.