"Frontière barbare", de l’ennui coulé dans du béton


Brussolo l’inclassable


Serge Brussolo, figure importante du paysage SF français, est de retour ! C’est ici l’argument de vente du livre. Ne nous racontons pas d’histoires, Brussolo, c’est beaucoup de bons souvenirs : Les semeurs d’abîmes ou Le syndrome du scaphandrier, ou encore le recueil Vue en coupe d’une ville malade ont fait forte impression à leur sortie. Un temps directeur de la légendaire collection Présence du Futur chez Denoël,  il s’est fait peu à peu discret dans le genre qui l’avait fait connaître, la science-fiction. Notons d’ailleurs ici que Serge Brussolo est classé dans la science-fiction  un peu par défaut. Lui-même a souvent déclaré qu’il n’aimait pas particulièrement le genre. Ses écrits se situent souvent à la frontière du fantastique, avec une approche viscérale qui marque le lecteur durablement. Accaparé par son travail dans la littérature jeunesse, il signe avec Frontière barbare son retour dans la littérature de l’imaginaire, retour qui créée forcément de l’attente.


Sexe, aliens et vétérinaire


Nous sommes dans un futur assez lointain où l’homme a conquis l’espace et a créé l’organisation des planètes unies qui a pour but de prévenir et de limiter les conflits militaires. Dans d’immenses espaces souterrains aménagés à cet effet, les espèces se retrouvent pour régler leurs querelles et s’affronter. Désireuses d’améliorer leur potentiel de destruction, elles recourent aux exomorphes, des animaux génétiquement modifiés et particulièrement dangereux. Lorsque ces derniers menacent d’échapper au contrôle de leurs propriétaires, on a alors recours à des exovétérinaires comme David Sarella. Il s’agit d’un homme tourmenté, en grande partie à cause de sa femme et assistante, Ula. Il l’a rencontrée à l’université où elle traînait derrière elle une réputation de mangeuse d’homme. Sarella en est évidemment tombé amoureux puis il a compris pourquoi Ula était aussi différente : elle a dans son ADN des gênes aliens qui lui font avoir des crises où elle recherche sexe, violence, destruction. Incontrôlable dans ces moments, elle s’éclipse et David Sarella vit dans la peur : peur de la voir morte, peur aussi qu’elle se jette sur lui pour le tuer. Jusqu’au jour où Ula est tuée. Là, David sombre dans la dépression, incapable de vivre sans la décharge d’adrénaline permanente que sa femme injectait dans sa vie. Rien ne sera plus comme avant, à moins que…


Les limites d’un retour


Frontière barbare se veut un voyage initiatique, celui de David Sarella à la recherche de sa femme, d’abord de son vivant (celle qu’il aime cède petit à petit à ses démons) puis après sa mort (ne vendons pas la mèche). L’auteur donne ici beaucoup au monologue intérieur de Sarella, par qui nous découvrons aussi l’univers futuriste dans lequel il évolue. Nous pénétrons au cœur des angoisses de Sarella, de ses états d’âmes. Il est une sorte de post-adolescent tourmenté, amoureux d’une folle incontrôlable. Une fois plongé dans le deuil, il n’arrive pas à en sortir et ici, nous vibrons un peu pour lui (après tout, tomber amoureux d’une « borderline » comme Ula arrive fréquemment de nos jours). Le problème est qu’à part son personnage, Frontière sauvage n’intéresse guère. On a parfois la sensation, accentuée par les émotions qui assaillent Sarella, d’être ici dans un roman pour adolescents. De plus, le monde décrit ne possède que peu d’éléments nouveaux (voyages spatiaux, la fédération, les sectes aussi). Enfin, le ton de l’auteur laisse transparaître un peu du mépris affiché par Brussolo envers le genre dans ses interviews. Brussolo ne croit pas en ce qu’il fait et nous fait perdre du temps. On regrette ici l’auteur du Syndrome du scaphandrier. Au fait une dernière chose, en appelant son héroïne Ula, le beau Serge a-t-il voulu rendre hommage au minitel rose ?


Sylvain Bonnet


Serge Brussolo, Frontière sauvage, Gallimard folio SF, mars 2013, 432 pages, 7,70 €

2 commentaires

anonymous

Je ne suis pas du tout d'accord avec la critique. J'ai tout lu de Brussolo, étant emballé au début par la richesse d'idées que contenait les premiers romans de SF. Par la suite, je trouve qu'il s'est économisé en utilisant quasiment une seule idée par roman.
Celui ci renoue avec cette profusions d'idées originales dans un seul roman : système de rajeunissement, de clonage, animaux bizarres, coutumes spéciales...
Je suis emballé et je retrouve le plaisir de lecture des débuts. Merci à Mr Brussolo, grand inventeur d'idées originales.

C'est tout à fait votre droit. Pour ma part, je maintiens mon jugement. Tout d'abord, rien de nouveau ici ni dans les thèmes (mais ça encore...) ni dans la façon de les traiter. Ensuite, pour ce qui est des personnages, il s'agit au mieux de personnages stéréotypés.  Maintenant, s'il vous a plu, c'est l'essentiel. Le reste est affaire de sensibilités.