"Stalker", à la découverte de la science-fiction russe

On connaît peu par chez nous la science-fiction russe et soviétique, mis à part Arcadi et Boris Strougatski, auteurs du fameux Il est difficile d’être un dieu, autrefois publié par la glorieuse collection Présence du futur chez Denoël (et réédité chez Lunes d’encre). Stalker, autre fruit de leur imagination féconde, est paru dans des conditions difficiles, bien exposées par Boris Strougatski dans sa postface, avec des passages coupés par la censure soviétique et rétablis ensuite. Disons-le franchement : Stalker constitue une invitation à découvrir l’œuvre des Strougatski, voire la science-fiction russe.

 

La visite

 

Des extraterrestres sont venus sur Terre pendant quelques temps, en ignorant complètement l’espèce humaine. Puis ils sont repartis, en laissant derrière eux pas mal d’objets, d’artefacts qui attirent la curiosité des hommes. Plus profondément, ils ont modifié physiquement les lieux, les zones qu’ils ont occupées. D’étranges phénomènes s’y déroulent… Quelques années après leur visite, l’armée et les scientifiques se réservent l’accès à ces zones mais ils laissent prospérer aussi des hommes appelés « stalkers » qui vont y chercher ce que les extraterrestres y ont abandonné.

 

Redrick Shouhart, dit le Rouquin, est l’un des meilleurs stalkers. Mais il voit ses compagnons tomber les uns après les autres. Pleine de pièges à éviter lors des visites, la Zone affecte aussi les êtres humains après. Kirill, ami de Redrick meurt juste après une visite alors qu’il prend une douche. Les enfants des stalkers sont aussi affectés, comme la fille de Redrick. Leur comportement devient étrange, de moins en moins humain, comme s’ils étaient contaminés par la zone et les extra-terrestres….

 

L’originalité des Strougatski

 

Ici le premier contact a eu lieu… sans contact. Les aliens sont venus et sont repartis. Un des personnages du roman, Valentin déclarera qu’ils sont juste venus faire un pique-nique et que, comme les humains, ils ont laissé derrière eux des déchets plein de mystère pour les animaux du coin. Et la zone… elle est pleine de mystères dans la description qu’en dressent les deux auteurs. On finit même par se demander si elle n’est pas le lieu de « singularités » tant les lois de la physique semblent ne plus y avoir cours.

 

La narration épouse le parcours de Redrick Shouhart. On les prend en sympathie, lui et ses amis, souvent décris en train de boire (il y a des scènes de beuverie mémorable dans Stalker), fatalistes devant leurs vies contaminées par la zone et ce qui s’y trouve. Les descriptions de leurs incursions dans la zone sont parfois floues mais renforcent le récit : là-bas, les stalkers ne sont plus vraiment sur Terre, ils sont déjà dans un « ailleurs » qu’ils ne comprennent jamais complètement les lois. La zone les révèle aussi à eux-mêmes : nous ne sommes pas loin ici de ce qui faisait le charme de la Speculative Fiction des années 70, celle de Robert Silverberg et de l’exploration de l’âme humaine.

 

Enfin, une petite remarque sur le titre : « stalker » est un mot anglais qui peut se traduire par rôdeur ou traqueur : que Boris Strougatski confie avoir « volé « dans un roman de Kipling. Pour l’anecdote, les hommes qui ont édifié le cercueil de béton à Tchernobyl se sont eux-mêmes baptisés stalkers, ce qui montre la force et le succès du livre en Russie. Un mot anglais passé dans la langue russe : un signe de l’interaction constante entre civilisations russe et occidentale, malgré la guerre froide.

 

Ne passez pas à côté de Stalker.

 

Sylvain Bonnet

 

Arcadi et Boris Strougastki, Stalker pique-nique au bord du chemin, Gallimard folio sf, traduit du russe par Svetlana Delmotte,  préface d’Ursula Le Guin et postface de Boris Strougatski, septembre 2013, 320 pages, 7,40 €

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