Louise Erdrich "Dans le silence du vent"

Comment concilier le regard insouciant d'un enfant et la douleur du viol subi par sa mère ? Comment comprendre que la morale peut se confronter à la Justice et la trouver incapable de produire sinon le Droit du moins la réparation ? C'est ce que parvient à faire Louise Erdrich avec le très beau Dans le silence du vent.

A la suite d'un viol, Géraldine s'enferme dans un mutisme forcené. Il n'est pas question pour elle de réclamer justice, juste disparaître, s'anéantir. Son mari est juge des affaires amérindiennes dans la réserve où ils vivent, et va s'emparer de l'affaire, mais le peut-il ? Car il y a les lois de l'état du Dakota du Nord, et celles de la réserve, qui s'opposent : le père a autorité sur la territoire de la réserve, mais le crime a été commis par un non-indien et les pouvoirs du juge sont nuls dans cette circonstance. Et la justice de l'Etat n'intervient pas dans la réserve. Comment concilier le désir de justice et la limitation des pouvoirs qui créent une manière de zone de non droit incompréhensible ? Comment l'expliquer à Joe ? Comment ne pas faire naître le plus ardent désir de vengeance ? Joe, personnage central du roman, qui est notre regard sur le monde, va voir toute sa naïveté juvénile détruite, et la gravité d'un monde dont il n'a pas les clés lui écraser le coeur et les épaules. Le douloureux chemin de devenir un homme par l'intériorisation d'une souffrance insurmontable. 

Le roman, conçu pour partie comme une enquête policière, menée pour partie par le juge mais pour la plus grande partie par Joe, est porté par une écriture magnifique et d'une grande limpidité. Le regard de Joe offre au lecteur une vision de la justice assez décevante pour l'idéal adolescent et appuie  — parfois avec humour, mais toujours avec beaucoup de poésie et de grâce — sur le sort des femmes amérindiennes qui sont exclues de la justice des hommes.

Loïc Di Stefano

Louise Erdrich, Dans le silence du vent, traduit de l'anglais (USA) par Isabelle Reinharez, Albin Michel, août 2013, 480 pages, 22,50 eur

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