"Des Bibliothèques pleines de fantômes"
Il y a deux sortes d’entasseurs de livres, nous dit-il : ceux qui accumulent pour les avoir (collectionneurs) et ceux qui ne peuvent se défaire des livres dévorés chaque jour par une insatiable "fringale de lecture". Mais pour chacun, les mêmes conséquences, les mêmes problèmes : comment organiser la marée sans cesse montante, pour certains jusqu’à des proportions incontrôlables (tel achète des immeubles pour les stocker, tel finira enseveli sous eux… on parle de collections particulières pouvant atteindre 300 000 volumes !). Par date d’entrée dans sa bibliothèque, mais alors il faudrait un linéaire infini et ne jamais déménager ? par langue ? région ? thème ? voire couleur ? mais alors de nouveaux problèmes surviennent : tel livre de Nabokov doit-il être rangé en russe ou anglais ? laisse-t-on les anciennes provinces de l’Union soviétique assemblées ou reforme-t-on les nouvelles catégorie ? Parlant des écrivains de l’ex-Yougoslavie, Jacques Bonnet s’amuse de complications politiques : "Pour ma part je ne risque aucune complication diplomatique, mais j’imagine les affres des responsables des bibliothèques publiques face à certaines situations". La bibliothèque, s’il est pour certains le véritable Paradis (Borges, Bachelard, Manguel) son organisation condamne à un certain enfer. Citant Perec, Jacques Bonnet rappelle opportunément qu’il existe un certains nombres de mode de rangement de sa bibliothèque, mais qu’aucun n’est suffisant en soi et doit pour ainsi dire être modifié à la marge par tous les autres…
Les livres conduisent à d’autres livres, pas nécessairement
de manière infinie, car les territoires se recoupent avec le temps, mais dans
un champ si vaste qu’on n’ose espérer en venir à bout. Et quelques-uns, comme
ceux de Knut Hansun pour Jacques Bonnet, vous offre le privilège de se compter
au nombre des rares élus d’une "société secrète de lecteurs". Ce
parcours de vie au milieu des livres est aussi le chemin de l’un à l’autre, non
plus dans l’idée de les organiser dans l’immense bibliothèque, mais plutôt
comment ils ont fini par organiser le lecteur, tissant leur influence sur lui
aussi bien que témoignant de ses rencontres et discussions avec tel ou tel au
sortir de laquelle l’évidence d’un livre à livre naissait. "Ainsi
circulent les livres", de lecteurs en lecteurs, qu’ils soient
professionnels ou non, qu’ils soient autour d’un verre ou dans les pages des
magazines ou des livres des autres.
Un très bel éloge de la bibliothèque et du livre, concentré d’espace et de temps, au point où, citant Umberto Eco, Jacques Bonnet reprend à son compte "Si Dieu existait, il serait une bibliothèque". Tout lecteur ayant un peu entassé ses trésors se reconnaîtra dans ces pages où l'amour du livre, de la littérature, des rencontres et des hommes apparaît comme l'évidence d'une vie à cela consacrée.
Loïc Di Stefano
Jacques Bonnet, Des Bibliothèques pleines de fantômes, préface de James Salter, Arlea, « Arlea-poche » n °207, avril 2014, 177 pages, 9 eur
2 commentaires
De ce livre de Jacques Bonnet, "un bel éloge" plein de substance - qui donne envie - hélas ! - de l'ajouter à nos "entassements" de trésors. Merci ! J'm la citation "les personnages réels sont les imaginaires, les fictifs sont les auteurs"... Oui, si un dieu insaisissable existe, c'est bien... "l'auteur". (Je pense à certain écrivain contemporain d'origine corse que j'aime...)
ce livre est un vrai coup de coeur et encore une mine où puiser, j'y ai découvert, entre autres, La Maison de papier de Carlos Maria Dominguez que je vais de ce pas ajouter à la pile de livres à lire, aussi