Jazz. La Section Rythmique dans tout son éclat

La Section Rythmique. Sous cette modeste, trop modeste appellation, se cache un véritable groupe qui n’a nul besoin d’être complété par une section mélodique pour s’exprimer pleinement. Un vrai trio se suffisant à lui-même. J’ai eu l’occasion d’évoquer ici-même le talent de ceux qui le composent, le guitariste Dave Blenkhorn, aussi fin mélodiste et improvisateur que solide rythmicien, le contrebassiste Sébastien Girardot, capable d’assurer un tempo avec souplesse et rigueur, Guillaume Nouaux, enfin, sans doute le batteur le plus complet qui se puisse entendre actuellement, doté d’une maîtrise technique impressionnante, tout à la fois sûr et inventif.

Leur entente, née d’une pratique commune de plusieurs années, en fait un groupe recherché aussi bien en France qu’à l’étranger, comme en témoigne leur participation régulière au festival d’Ascona, en Suisse. Une expérience des plus enrichissantes en ce qu’elle leur permet de rencontrer des solistes de styles très divers au cours des jam sessions qu’ils animent quotidiennement pendant une dizaine de jours, et ce, depuis plusieurs années. Une constante dans le jeu du trio : la capacité à swinguer quel que soit le contexte et à stimuler le soliste.

Deux albums récents témoignent de cette faculté d’adaptation. Le premier, « Brad Child Meets La Section Rythmique » (1), les présente en compagnie d’un saxophoniste ténor chevronné. Bradford Child a en effet écumé la scène du jazz australien depuis une bonne trentaine d’années, se produisant dans les clubs et les festivals aussi bien comme partenaire de musiciens prestigieux qu’à la tête de ses propres orchestres.

Ses interprétations de standards du jazz classique (Exactly Like You sur tempo lent, Poor Butterfly, When I Grow Too Old To Dream, Blue And Sentimental…) révèlent un saxophoniste ténor qui se situe dans la lignée des Arnett Cobb ou Illinois Jacquet. Un « gros » son charnu, un style dans lequel demeure prégnante l’influence du blues et du rhythm and blues. Toutes les caractéristiques des ténors du middle jazz que l’on a appelés les « Texas Tenors » se retrouvent dans son jeu – assorties d’une manière de rusticité. Chacun de ses développements, dépourvu de fioritures, semble vouloir aller à l’essentiel. D’où le caractère « brut » de son discours.

Sans doute cette sobriété assurément voulue et assumée est-elle constitutive d’un style issu en droite ligne de celui de Coleman Hawkins. Brad Child semble avoir traversé l’évolution du jazz et ses mutations sans en être le moins du monde marqué. Il sait interpréter les ballades avec une certaine suavité mais ne verse jamais dans la mièvrerie. Sur tempo medium ou rapide, il manifeste de réelles qualités de swingman. D’autant que ses partenaires lui proposent un tremplin propice à toutes les envolées. Ainsi de Slow Hot Wind, entre autres réussites.

Le clarinettiste, saxophoniste et chanteur Evan Arntzen vient, pour sa part, de Vancouver, au Canada, et a baigné dans la musique, singulièrement le jazz, depuis sa tendre enfance. Son père, son grand-père, son frère sont des musiciens confirmés, de même que ses cousins. De quoi conforter une vocation précoce. Il évolue avec aisance, tant à la clarinette qu’au ténor, dans un répertoire qui va de Chris Smith (Ballin’ The Jack) et Jelly Roll Morton (Mister Jelly Lord) à Richard Rogers (Isn’it Romantic) en passant par Billy Strayhorn (Lotus Blossom) et Lester Young (Tickle Too). Soit une palette largement ouverte, des origines au jazz maminstream inclus, avec des incursions dans des idiomes plus modernes.

Tel le présente « Evan Arntzen Meets La Section Rythmique » (2). Il y déploie dans trois pièces des talents de crooner, marqué, lui aussi par le blues. En tant qu’instrumentiste, son style, nettement plus diversifié que celui de Brad Child, démontre qu’il se meut avec la même facilité sur les standards classiques que lorsqu’il se risque sur des morceaux plus « aventureux » (Please, de Leo Robin et Ralph Rainger). Ses improvisations intègrent, du reste, des harmonies qui doivent plus au bop et au-delà qu’au style traditionnel.

La Section Rythmique assume, dans cet album, son rôle plein et entier, chacun s’exprimant avec une liberté réjouissante. Guillaume Nouaux, dont la batterie est particulièrement bien enregistrée, Dave Blenkhorn, qui donne un réplique des plus pertinentes aux développements d’Evan Arntzen, et Sébastien Girardot (I’ll Get By, de Fred Ahlert et Roy Turk) font preuve, une fois encore, de cette aisance et de cette cohésion qui en font sans conteste « la » » section rythmique à citer en exemple – comme on citait, à l’époque de la Swing Era, celle de Count Basie avec Walter Page et Jo Jones. Comparaison n’est pas raison, certes. Mais comment ne pas évoquer une telle parenté, s’agissant de musiciens fidèles à cet élément fédérateur qu’est le swing, et qui savent se montrer à leur avantage dans les contextes les plus divers ?Ces deux disques en témoignent.

Jacques Aboucaya

1 – « Brad Child Meets La Section Rythmique ». sebastiengirardot.com

2 – « Evan Arntzen Meets La Section Rythmique ». Idem

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