Quelques disques pour bien commencer l’année

Depuis qu’on annonce la mort du CD, il semble qu’il ne se soit jamais aussi bien porté. Si l’on en juge au nombre de sorties, il est même en pleine croissance. Non seulement les labels, grands ou petits, proposent toujours autant de nouveautés, mais la pratique de l’autoédition va se généralisant. Si bien que l’amateur a toujours l’embarras du choix. Il va sans dire que cette pléthore n’est pas un gage de qualité constante et qu’il convient, ici comme ailleurs, de trier le bon grain de l’ivraie.
Encore faut-il convenir que les critères, dans le domaine qui nous occupe, étant pour une bonne part subjectifs, c’est, en définitive, à l’auditeur que revient toujours le dernier mot. Ce qui est heureux.
 

Parmi les disques sortis en ce début d’année, certains devraient satisfaire les amateurs de jazz dit classique, à savoir qu’ils répondent à des canons éprouvés tels que le swing et la référence, fût-elle implicite, à une forme de tradition. Pour l’essentiel, c’est à eux que nous nous en tiendrons aujourd’hui. En laissant toutefois la porte ouverte sur une musique plus inclassable.

En quelques années et plusieurs enregistrements comme partenaire d’autres musiciens ou sous son nom, Thierry Ollé s’est affirmé sur la scène hexagonale et ailleurs, comme une valeur sûre. Après une incursion à l’orgue Hammond dans le monde de Jimmy Smith, détour dont j’ai eu l’occasion de parler ici, il revient à ses premières amours, le piano, et à un répertoire qu’il a souvent exploré dans divers contextes, celui des standards de La Nouvelle-Orléans. Ainsi propose-t-il, à la tête de son Louisiana Hot Trio (1), avec des amis de longue date, les excellents David Cayrou à la clarinette et au sax alto, Benoît Auprêtre à la batterie, un programme puisé chez Louis Armstrong, Duke Ellington, Jelly Roll Morton ou Kid Ory.
S’il parvient à le renouveler pour donner de chaque morceau une version très personnelle, c’est que son jeu, nourri par la connaissance de tous les grands pianistes qui l’ont précédé, n’a rien perdu de son charme. Ni son swing de son éclat – comme eût pu écrire Gaston Leroux.
 

Autre groupe qui conjugue connaissance des "fondamentaux" et originalité réelle, c’est le Paris Gadjo Club (2), quartette qui réunit Pierre-Louis Cas (clarinette, sax alto), Christophe Davot (guitare, banjo), Stan Laferrière (guitare) et Laurent Vanhée (contrebasse). Son album Café du Brésil propose une fusion particulièrement attrayante, celle du jazz avec le choro, musique populaire instrumentale qui est son pendant brésilien. Leur rencontre n’a rien d’artificiel. Du reste, les affinités entretenues entre ces deux musiques ne sont certes pas récentes. Stan Getz contribua largement, en son temps, à la vogue de la bossa nova, et nombre de compositeurs brésiliens ont enrichi, à l’instar d’Antonio Carlos Jobim et de quelques autres, le répertoire du jazz.
Dans ce disque, où est largement sollicité le compositeur Jacob Bittencourt, plus connu sous le nom de Jacob do Bandolim, ce qui est remarquable, c’est le parfait naturel avec lequel les choros se prêtent à des interprétations dans lesquelles les vertus cardinales du jazz – improvisation, swing – sont portées à leur meilleur niveau. Cela, grâce au talent éprouvé de musiciens qui ont fait leurs preuves et s’entendent comme larrons en foire.

Autre album particulièrement attrayant, Hipster’s Alley.
On le doit au Jean-Philippe Bordier Trio (3), transformé dans six pièces sur douze en quartette par l’apport du vibraphoniste Pascal Bivalski. La formule orgue (Guillaume Naud) - guitare (Jean-Philippe Bordier) - batterie (Andreas Neubauer) trouve avec l’apport du vibraphone une dimension supplémentaire. Après Morning Glory (Black & Blue, 2013), ce second disque confirme toutes les qualités d’un guitariste qui est aussi l’auteur de toutes les compositions. L’influence des plus grands, les Django et autre Wes Montgomery, s’y conjugue avec une inspiration personnelle qui capte sans coup férir l’attention de l’auditeur.
Quant à sa virtuosité, elle lui autorise des envolées parfaitement maîtrisées, d’autant plus efficaces qu’elles sont soutenues par des partenaires dignes de lui.
Lesquels s’y entendent pour prolonger avec à-propos ses développements.

Enfin, pour terminer ce rapide tour d’horizon, le Nova Trio (4) de Claude Terranova (piano), Arnault Cuisinier (contrebasse) et Christian Léthé (batterie). Trois musiciens qui ont en commun d’avoir abordé à des rivages musicaux fort divers, de la pop, du rock et de la variété aux musiques du monde et aux recherches les plus audacieuses de la musique contemporaine. Si le jazz reste une référence commune, leurs expériences conjuguées, abreuvées à plusieurs sources, les conduit à une certaine "distanciation".
Leur musique, à la fois écrite et codifiée, jouant volontiers de la réitération et de la juxtaposition de climats contrastés, impose à chacun des membres du trio une rigueur qui n’est en rien contraignante, en ce qu’elle ne bride nullement leur spontanéité. Si bien que l’impression qui en découle allie un son d’ensemble original à une liberté dont chacun profite à son gré.
Obstinatum est un album rafraîchissant dont il serait abusif de prétendre qu’il relève du jazz stricto sensu. Mais, depuis la survenue d’un Keith Jarrett, par exemple, le débat n’est pas nouveau…
 

Jacques Aboucaya

1 – Louisiana Hot Trio. Autoproduction / www.thierryolle.com

2 – Paris Gadjo Club, Café du Brésil, Frémeaux & Associés / Socadisc

3 – Philippe Bordier Trio, Hipster’s Alley, Black & Blue / Socadisc

4 – Nova Trio, Obstinatum, Black & Blue / Socadisc

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