Le premier Giono a bien plus qu'un accent, et alors ?

Éclairant parfois – à sa demande, parce que me sachant connaître et parler le provençal couramment – la lanterne de mon ami Satoru Yamamoto dans ses vaillantes traductions des premiers Giono en japonais, cette collaboration – bien qu'occasionnelle, mais fréquente – me confirme, à chaque fois et dans le texte même examiné de près, combien la langue du génial écrivain français est fortement imprégnée, à cœur, et par moments toute ruisselante, de la langue provençale du coin, comme d'une sacrée bonne huile d'olive de Lurs ou de Manosque même, sans devoir aller chercher plus loin pour la qualité ! 

Sa langue déjà par elle-même si personnelle, et jusque son style donc, se trouvent ainsi nourris, enrichis et parfumés, par les qualités toutes particulières de l'autre, dont, entre toutes, celles de sa grande poésie héritée, en le cas, autant de l'esprit populaire indigène que de la geste des troubadours.
Cela, quoi que l'auteur de Colline en ait dit et écrit par ailleurs ; la raillant et la vilipendant jusqu'à, par une très évidente mauvaise foi, ne pas hésiter à se mettre, comme on dit, le doigt dans l'œil jusqu'au coude en nous déclarant, droit dans les yeux, sans vergogne, que le provençal n'était même pas une langue alors qu'elle a été la seule à être écrite et parlée en Provence pendant - ce que personne n'ignore, surtout pas lui ! - non des décennies, mais des siècles entiers ! 

Langue, selon lui, soi-disant carrément inexistante dont, sans se priver, il s'est cependant abondamment servi et même de façon très subtile et spirituelle, preuve irréfutable que - sans peut-être jamais la pratiquer au quotidien - il la connaissait quand même extrêmement bien, en tout cas au moins tout autant, cela va de soi, que n'importe quel manosquin de sa génération et de son milieu ! 
À tel point que, les ayant pratiquées afin d'en décrypter et fournir le sens à l'ami Satoru, je suis à peu près certain que certaines phrases gioniennes ou tournures de phrases, certaines de ses expressions, comportant plus ou moins de provençal ne peuvent que rester complètement obscures ou opaques, et donc incompréhensibles en plein, à tout lecteur français bon teint, à moins que celui-ci soit doté d'une incroyable surabondance d'imagination !

N'en déplaise à tel ou telle fabricant d'hypothèses, c'est donc bien dans son pays natal de la stricte région de Manosque que – y tétant tout de suite à toute force ! – l'écrivain-poète Jean Giono est né, et non de la cuisse de Jupiter, pas plus, vraiment, que dans les sinistres tranchées de 14 dont, du début et jusqu'à peu près la moitié de son œuvre, on ne trouve, par contre, pas le moindre relent de ce gaz moutarde qui lui brûla pourtant les parpelles, ni aucune once de molécule de douille pour prouver le contraire ; mais, ça oui, – ô combien généreuse ! – une forte poésie très méditerranéenne et, encore plus particulièrement raffinée sous des atours qui, à première vue, j'en conviens, peuvent être trompeurs pour certains : haute provençale !

Le premier Giono a bien plus qu'un accent, et alors ?

André Lombard

PS : une anecdote marrante. Pour se démarquer de l'esprit d'une certaine basse Provence rouge et or de cartes postales dont cet insecte est depuis longtemps devenu le symbole, Giono assurait – ce que l'on comprend très bien, mais en avait-il besoin ? –  ne pas avoir écrit une seule fois le mot cigale en tout son œuvre !  Or, page 243, ligne 4 dans le volume I de La Pléiade, on peut toutefois lire, alors comme un comble, ou ironie du sort  : 
– Oui, qu'il fait encore, en serrant la cigale dans son poing.
Maintenant, chers lectrices et lecteurs, c'est tout pour le moment !

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