"Mapuche", dans les secrets de la dictature argentine

« […] un pays sans vérité était un pays sans mémoire. »

Plusieurs auteurs, dont notamment Jean-Christophe Grangé dans sa Forêt des mânes, ont déjà "utilisé" comme trame de leur intrigue policière la dictature argentine qui ravagea le pays à la fin des années 70, et dont l'empreinte marque toute la littérature argentine contemporaine, mais jamais encore avec la puissance que développe Caryl Férey dans cet incroyable Mapuche.

Un travesti prostitué qui disparait, et alors ? Cet événement qui ne trahi que la misère noire d'une société faite de violence et d'abandon va être le point de départ d'une enquête terrible, meurtrière, violente et incroyablement prenante qui va mêler les destins de deux victimes de l'histoire même de l'Argentine. D'abord, il y a Jana, la jeune Mapuche qui aura subi toutes les injures pour survivre à Buenos Aires, fille d'un peuple indigène décimé. Ensuite, il y a Ruben, le fils d'un poète libre, emprisonné dans les geôles de la dictature militaire, devenu l'avocat des grands-mères de la place de Mai, résistantes oh combien emblématiques.

« "Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas, les Colombiens des Mayas, les Argentins descendent du bateau", raillait le dicton. »

Ces deux personnages brisés par l'histoire vont mener une enquête qui les conduira à déterrer les plus noirs secrets de la dictature, à affronter les cauchemars enfouis depuis plus de trente ans mais dont les mânes façonnent encore la société contemporaine. Aucune institution n'est épargnée, ni l'Eglise, ni l'Etat, ni la police, ni l'Armée, et les noirs liens tissés dans le sang de près de 30 000 victimes, opposants gauchistes pour la plupart, forme un cauchemar d'une insondable profondeur, que n'égale que la perversion des tortionnaires.

« Trois pactes liaient les différents corps d'armée et la police argentine : celui "du sang" quand il fallait éliminer ou torturer les subversifs, "d'obéissance", qui unissait la hiérarchie du haut en bas de la pyramide, et le dernier, "de corruption", avec le partage des biens volés aux disparus. »

La version lue

La voix grave de Féodor Atkine rend parfaitement à la fois les drames et les souffrances, et les tensions qui parcourent Mapuche, prenant tantôt la voix grave et vicieuse des de certains bourreaux ou les chuchotements ténus des travestis (et alors on croit presque entendre Bernard Giraudeau). 

Mapuche est sans conteste l'un des polars les plus puissants de ces dernières années, tant par sa construction, son rythme, la colère qui sourd de chaque page, et la force des images qui restent longtemps dans l'esprit du lecteur.  Un grand polar.


Loïc Di Stefano

Caryl Férey, Mapuche : 
  • "Folio policier", Gallimard, février 2014, 8,40 eur 
  • Gallimard, "écoutez lire",  2 CD, 14 heures vingt minutes, 24,90 eur — Ecouter un extrait
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