Charlotte de David Foenkinos : un destin brisé

Il y a des vies qui sont mal parties. Charlotte n’a que dix ans quand sa mère se suicide. On dira à l’enfant qu’elle a succombé à la grippe. Avant, il y a eu la tante prénommée Charlotte, morte noyée volontairement, sur la tombe de laquelle notre héroïne apprendra à lire. Puis en 1940 la grand mère mettra fin à ses  jours, comme sa mère et son frère.

 

La famille de Charlotte Salomon, qui appartient à la bourgeoisie juive de Berlin, semble maudite. Et bien avant l’arrivée des nazis, la mort y règne en maitresse.

 Cette répétition familiale du malheur est à mon avis l’aspect le plus réussi du nouveau livre de David Foenkinos, qui, après avoir remporté le Renaudot, vient de décrocher le 27e Goncourt des lycéens. Un beau doublé pour un écrivain plébiscité des foules, boudé par certains critiques, qui nous avait habitué à des  textes plus légers. Il change en effet ici de registre en tombant amoureux fou de cette jeune artiste d’une modernité absolue qui mêle  textes, citations et musique dans une œuvre malheureusement trop brève.

 

L’auteur de La délicatesse s’attache à recomposer sa vie sous une forme originale, un long poème avec des phrases courtes qui reviennent à la ligne, comme une respiration nécessaire. On suit donc la jeune Charlotte qui intègre l’Ecole des Beaux-Arts de Berlin, dévore Nietzche et Goethe, tombe amoureuse du maitre de chant de sa belle mère, cantatrice de renom. En janvier 33, les nazis arrivent au pouvoir, ce sont les premières lois anti -juives, le départ précipité vers le sud de la France, la peur au ventre. Court répit que celui de la Riviera chez une riche Américaine qui accueille les réfugiés. Charlotte sera internée un temps au camp de Gurs, avant d’être relâchée et l’écrivain met ses pas dans les siens, se met en scène. Il visite les lieux, interroge les témoins, scrute l’œuvre de Charlotte, qui, inquiète pour l’avenir confie une centaine  de dessins à un ami médecin. Alois Brunner, dans sa chasse méthodique, arrivera à la débusquer. Charlotte est arrêtée, déportée, gazée en 1943. Le souffle de l’artiste s’éteint alors qu’elle attend un enfant, et dans ce chant d’amour et de désespoir, Foenkinos la suit jusqu’à l’insoutenable.

 

Un beau roman, presque amoureux sur une artiste qui en a fasciné d’autres (Richard Millet par exemple ). Un seul bémol, le récit va vite, trop vite. On aurait aimé passer plus de temps avec cette femme qui entre dans la nuit.

 

Ariane Bois

 

David Foenkinos, Charlotte, Gallimard, août 2014, 224 pages, 18,50 €

 

> Lire un extrait de Charlotte de David Foenkinos


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