Charles Morin : noces dialectiques

 Charles Morin ne cherche pas à montrer un pays aux essences pures et aux gestes parfaits.  La tête contre les murs il souligne  l'ambiguïté d'un monde qui nous dévore sans laisser place à plus de liberté. Dans le corps du ciel ouvert les buildings ne guérissent pas la maladie endémique de l'humanité. Ils la taraudent un peu plus. Tokyo n'est plus un film même si ceux d’Eustache sont des modèles pour l’auteur. Il y retrouve des histoires de solitudes, de peaux de diverses couleurs, de chair à cœur ouvert.  Parler avec les images d’Eustache c’est, selon Morin,  la liberté, l’indépendance.

 

Par ailleurs l’écrivain place son approche  littéraire dans la continuité du cabinet de curiosités du XVIIe siècle en explorant le monde et en tentant de le comprendre à partir de singularités contondantes (celle du japonais anthropophage par exemple). Esthète à la J.-J. Schuhl, Morin est le maître en digressions, il fait de l’écriture ce qu’elle est : un faux miroir dont les effets de leurre brisent non le verre mais les masques qui collent dessus afin  que les cicatrices ressortent déparasitées de cadres donnés. Le jeu de l’apparente objectivité des choses vues ou lues crée celui de la plus grande subjectivité par la manière dont elles sont saisies,  rassemblées  ou éclatées au sein d’une narration simple mais troublante et qui n’a rien de commune.

 

L’auteur ménage équilibre et déséquilibre et le forage vers un certain vide par une littérature particulière à  la recherche non de l'insolite mais de l'insondable dans ce qui tient d'une dérive au fil des villes et des jours : celle qui "va ligne" (comme disait Michaux) mais non en ligne.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Charles Morin, « Du pain et des Rolls », « Tokyo City Blues », Editions de la Salle de Bains, Rouen,  6 et 10 €

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