« L’École du serpent » de Donatien Moisdon : le plaisir feminin sans tabou

L’École du serpent, de Donatien Moisdon, édité aux éditions Ecriturales est une réédition légèrement modifiée de La Caresse du serpent, édité (et épuisé) chez Anne Carrière en 1999. Ce roman avait été pressenti et soutenu par Anne de Caumont pour le prix Fémina. Il fut aussi dans sélection du club du Grand Livre du mois huit semaines consécutives.


C’est lors d’un salon du livre que l’on m’a mis ce roman entre les mains, supposant qu’il allait m’intéresser puisqu’érotique. J’hésite à le qualifier d’érotique. Ce n’est en tout cas pas un texte masturbatoire, encore que… Les pages décrivant le désir des femmes sont tellement justes, qu’elles peuvent fortement troubler. Disons que ceux qui cherchent uniquement un livre de sexe pour s’exciter, des choses très cochonnes, du hard, passent leur chemin… Curieux d’assimiler l’érotisme à la seule masturbation me direz-vous… En fait ce n’est pas moi, j’vous jure, l’érotisme est un univers tellement ouvert que ce serait pauvrement réducteur, mais les éditeurs spécialisés dans ce registre sont formels : il faut qu’un roman érotique excite, fasse bander ou grimper l’hygrométrie au point d’avoir envie de se faire du bien ! Sinon, ce n’est pas un livre érotique disent-ils… Ce que je réfute en affirmant que l’érotisme, c’est d’abord enflammer l’imaginaire.

Il n’est pas nécessaire d’être adepte du genre érotique pour apprécier ce livre. Au contraire, sans doute plaira-t-il même aux lectrices et lecteurs n’aimant pas la surenchère des livres érotiques, parce qu’il parle de désir, de plaisir et de sexe sans pour autant utiliser le registre que l’on retrouve la plupart du temps dans cette littérature. Et quand Donatien Moisdon écrit pour Xaviera « Oui, j’aimerais pisser devant toi » « Et sur moi ? » « Oui, Octavius, oui, oui, oui, oui, OUI pour tout ! », le plaisir enfantin de Xaviera  n’a rien de trash, c’est juste si on ne la voit pas applaudir des deux mains les yeux ravis.

Pour ma part mon extrême curiosité de l’écriture de l’intime m’a incitée à ne pas surseoir à cette lecture, alors que des piles de livres attendent sagement.


L’auteur, Donatien Moisdon, doit être forcément un homme attentif : il réussit ce tour de force d’écrire très précisément le rapport qu’ont les femmes avec leur corps, leur désir, leur sexe. Avec une telle justesse qu’il doit avoir passé un temps infini à les contempler, les observer, les écouter, les explorer… En tous cas l’auteur est inspiré. Me revient en mémoire l’éternel débat sur le fait qu’il existerait une écriture féminine et une écriture masculine du sexe. Non et non, ai-je toujours dit, et Donatien Moisdon en est la preuve.

C’est écrit de façon très classique, a priori pas un style qui me scotche parce que très convenu, mais la lecture est plaisante, fluide, même si quelques longueurs inutiles et de trop nombreuses métaphores poétiques desservent un peu le roman en lui donnant une atmosphère romantique dont il n’a, à mon avis, pas besoin puisque la force de l’histoire et des personnages est avant tout une réalité sans fioriture. Les descriptions sont extrêmement détaillées, que ce soit de paysages, de situations, de corps, de sentiments.


Xaviera, une héroïne qui assume


Xaviera est une jeune femme qui ne sait pas ce qu’est l’amour. Mal-aimée par une mère obnubilée par son mépris des gens, elle grandit ballottée entre la rancœur, la douleur, l’indifférence et la colère. À peine pubère, elle joue aux jeux de la découverte des corps avec sa tendre amie Nathalie dont elle s’éprend amoureusement. Cette première approche homosexuelle de la sexualité est abordée de façon frontale, au sens vrai comme au sens figuré, sans faux fuyant, c’est érotique oui, mais avant tout « naturel » ai-je envie de dire parce que l’éveil des corps dès l’enfance est par nature toujours érotique.

L’homosexualité féminine est rarement évoquée finalement en littérature avec ce naturel, il ne s’agit pas de faire érotique en mettant l’héroïne dans des bras de femme, mais de dire que le désir n’a pas de sexe. Xaviera n’est pas seulement lesbienne puisqu’elle aura des amants et y trouvera son compte, mais elle entend trouver son plaisir là où ses désirs l’embarquent, et les femmes souvent la séduisent.

Xaviera et Nathalie jouent ensemble assises par terre, face à face. Xaviera n’a de cesse de reluquer la culotte de son amie en brûlant de savoir ce qu’il y a dessous. Elle sait avoir le même sexe, mais ne l’a jamais vu comme elle voudrait le voir. Elle finit par lui demander d’ôter son slip lors d’un jeu. « Elle ôta son slip, le posa sur le banc à côté d'elle et écarta les jambes à demi. Je n'en croyais pas mes yeux : devant moi s'étalait une vision enchanteresse. Étais-je aussi belle ? Ni Nathalie ni moi n'avions encore de toison. Une mince ligne rose et verticale se poussait entre deux légères lunules de peau blanche [...] Elle ouvrit complètement les jambes. La ligne rose se divisa légèrement. »  Xaviera par la suite demandera à son amie de lui expliquer très précisément ce qu’elle a ressenti en s’exhibant, puis en regardant à son tour le sexe de Xaviera. Elle mentionnera l’air frais sur sa vulve nue. La précision des choses décrites et ressenties sonne toujours juste.


Les fillettes se plaisent désormais sans fin à jouer à ces jeux qui leur donnent tant de plaisir étrange, elles s’embrassent, mélangent leur langue, découvrent leur odeur au bout de leurs doigts, se reniflent mutuellement, traquent en jouant au Monopoly, assises par terre cuisses écartées les traces humides sur leur culottes quand elles ne peuvent être seules. Xaviera se masturbe beaucoup, fait l’expérience de la jouissance qui ravage le corps et la tête, et en redemande.

Et puis, plus tard, Nathalie déménage, laissant Xaviera anéantie. Jusqu’à l’âge de 25 ans, elle n’aura d’autres expériences sexuelles, elle trouve son cœur sec, ne ressent aucun sentiment, ne tombe jamais amoureuse. Le rapport avec sa mère continue à la détruire. Elle a quelques liaisons, cherche des émotions sexuelles fortes, quitte un homme très bon amant qui la demande en mariage… et se marie avec un homme qu’elle n’aime pas et qu’elle trouve nul sexuellement. Ainsi va la vie de Xaviera jusqu’à ce qu’elle rencontre Lucinda, une femme dont elle va tomber amoureuse sans vouloir l’admettre et qui lui donnera à nouveau d’intenses désirs et plaisirs sexuels. Mais qui partira aussi. Xaviera réalise sa réelle inaptitude à se faire aimer et à aimer. Du reste personne ne lui a jamais dit « je t’aime ».


Toujours mariée à Francis à qui elle en veut méchamment de ne pas savoir ni embrasser, ni caresser, ni faire preuve de fantaisie dans ses pratiques sexuelles, elle devient, avec sa permission et sous son toit et alors qu’il est à l’étage, la maîtresse d’un homme qu’ils reçoivent souvent avec qui elle retrouve sa joyeuse coquinerie. Xaviera  est certaine d’être enfin amoureuse. Elle y croit dur comme fer jusqu’au jour où Lucinda lui écrit pour renouer. Elle quitte derechef son amant devenu en l’espace de la lecture de la lettre de Lucinda, terne et moche ; elle se demande même comment elle a pu l’aimer si follement physiquement.

Là est le problème de Xaviera, son cœur est instable, mais sa lucidité implacable, notamment envers elle-même. Je ne vous dirai rien de l’épilogue… Donatien Moisdon a fait de Xaviera une héroïne qui assume la culpabilité de la croqueuse de pomme. On peut regretter cette façon de faire payer le péché originel. Est-ce là la signature inconsciente de la masculinité de l’auteur ?

 

Anne Bert

 

Donatien Moisdon, L’École du serpent, Éditions écriturales, mars 2012, 318 p., 20 €

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