Nicola Gardini, Vive le latin : Un plaidoyer aussi brillant que passionné

Déjà en 1989, l’historienne Marie-Madeleine Martin avait tiré la sonnette d’alarme dans Le Latin immortel. Une défense et illustration de la langue dont sont issues toutes les langues romanes, la nôtre en particulier. C’était il y a quasiment trente ans. Elle y dénonçait les menaces pesant alors sur l’utilisation du latin, singulièrement dans la liturgie catholique après son aggiornamento, mais aussi sur son enseignement, vacillant sous les coups de boutoir de détracteurs acharnés. Menaces qui, depuis, n’ont cessé de se concrétiser. Au point que, à l’instar du grec ancien, quasiment éradiqué de notre enseignement secondaire, voire supérieur, lire et traduire Virgile et Cicéron relèverait à l’heure actuelle de l’anachronisme le plus incongru. Voire de la provocation pure et simple.

Les arguments sont connus : il s’agirait là d’un apprentissage inutile à l’heure de l’informatique et du pidgin généralisé qui sévit dans les textos et les réseaux sociaux, sans parler des médias « officiels », radio et télévision. D’un retour à l’obscurantisme. D’une intolérable réaction, prélude à d’autres abominations comme le respect de l’orthographe, autre exigence désuète. Plus grave encore, l’étude d’une langue dite « morte » serait un facteur d’inégalité. Un marqueur de différence sociale. Faute irrémissible. Pourtant, l’actuel ministre de l’Éducation nationale envisage de réintroduire le latin dans les programmes de l’enseignement secondaire. À dose homéopathique, bien sûr, et uniquement dans les collèges des quartiers dits « défavorisés ».

Aurait-il redécouvert les vertus formatrices d’une telle discipline ? Peut-être. Mais son intention proclamée est d’introduire à l’école la fameuse « mixité sociale », cheval de bataille de tous les paladins de l’égalité. Les mêmes qui ont décrété que tous les enfants devaient fréquenter dès l’âge de trois ans l’école maternelle. Pour des raisons similaires qui n’ont rien à voir avec les vertus proprement formatrices. Tel est l’air du temps.

C’est dire combien vient à point Vive le latinde l’écrivain et universitaire italien Nicola Gardini. Un livre complet. À la fois célébration, plaidoyer et cri d’alarme. Chaleureux et allègre. Réaliste et convaincant. Sans s’attarder sur les habituelles considérations relatives à la valeur éducatrice des Humanités, l’auteur, à l’instar de Marie-Madeleine Martin (dont on s’étonne, du reste, que son nom ne figure pas dans l’index…), retrace l’histoire et l’évolution de la langue, d’Ennius à saint Augustin. Il en dissèque les grandes étapes, analyse les thèmes majeurs que l’on trouve dans la littérature latine, illustrant son propos de larges citations d’écrivains ayant marqué leur époque. Poètes et prosateurs, Catulle, Virgile, Properce, Cicéron, César, Tite-Live, Sénèque et d’autres composent ainsi une guirlande aussi chatoyante que contrastée. Le lecteur, amené, en quelque sorte, à juger sur pièces, y trouve autant de témoignages et de confirmations des dires de l’essayiste. L’enthousiasme de celui-ci, son admiration pour le rayonnement d’une langue qui a marqué de son empreinte jusqu’au monde contemporain y trouvent une étincelante justification.

Au-delà de ce véritable hymne au latin, l’intérêt de l’ouvrage réside dans le fait qu’il tient compte des réalités les plus actuelles. Il reprend à son compte le constat de son compatriote Salvatore Settis, qui écrivait en 2004 dans Futuro del « Classico » : « La marginalisation radicale des études classiques dans la culture générale et les systèmes scolaires est un processus de profonde mutation culturelle que nous ne pouvons en aucune façon ignorer… »

Nicola Gardini partage ce propos. Il replace dans une vaste perspective l’abandon du latin. Il en souligne les grands enjeux et fait ainsi litière des arguments couramment brandis. La prétendue inutilité témoigne, avant tout, d’une conception étriquée de la formation qui néglige tout ce qui n’est pas matériel, à commencer par l’esprit. En outre, et tout aussi fondamental, le latin est la langue d’une civilisation (« c’est dans le latin que l’Europe s’est accomplie ») et apprendre à le déchiffrer revient à approcher au plus près nos secrets les plus profonds. Enfin, contrairement aux clichés colportés par ses détracteurs, il ne s’agit nullement d’une langue morte. Non seulement il subsiste par sa propre littérature, mais à travers les œuvres qu’il a inspirées, de Dante à Rabelais, de Pétrarque à Machiavel, pour s’en tenir à eux. C’est dire qu’il est toujours vivant – sauf à nier des pans entiers de ce qui constitue notre propre civilisation, tant en littérature qu’en peinture ou en musique.

L’auteur laisse le mot de la fin à Marcel Pagnol, affirmant dans son introduction aux Bucoliques : « Aujourd’hui, le monde a chaviré, et nous sommes à cheval sur la quille du navire qui s’enfonce un peu plus chaque jour ; mais au-dessus de ce naufrage, brillent toujours Sirius, Homère, Bételgeuse, Virgile, Montaigne, Le Centaure, Ronsard, les Pléiades, la Voie lactée et Victor Hugo. Les étoiles sont toujours les mêmes et qui lève la tête les voit. »

Jacques Aboucaya

Nicola Gardini, Vive le latin. Histoires et beauté d’une langue inutile, traduit de l’italien par Dominique Goust en collaboration avec Ilaria Gabbani, de Fallois, mai 2018, 278 p., 18 €

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