Eugène Green, Les Atticistes, ou l'éternelle querelle des anciens et des modernes

La littérature est parfois affaire sérieuse et altière. Mais elle s'apprécie aussi bien, voire mieux, quand toute l'intelligence de son propos et de son écriture se présente au lecteur par un humour fin et ciselé.

C'est le cas des Atticistes d'Eugène Green, où l'on retrouve la délicieuse érudition mise au service d'un verbe un rien coquin et proustien, un air de ne pas y toucher et de détruire telle ou telle théorie en deux lignes, ou un adverbe. Une relecture très attrayante des conflits intellectuels du XXe siècle portée par une très belle écriture.

L'atticisme est un courant de la rhétorique classique grecque qui pose comme vertu essentielle le respect des belles choses, disons le classicisme le plus pur, auquel s'oppose l'asianisme, considéré comme barbare. Les deux tendances sont ici représentées par Amédée Lucien Astrofolli, prince des atticistes, issu de la roture immigrée et adepte du plus hiératique formalisme au point d'élire Voltaire comme sommet indépassable de l'art (même si l'enseignement des Pères Jésuites a aussi formé son goût), et Marie-Albane de la Gonnerie née de Courtambat, vieille noblesse de Touraine, créatrice de la méta-littérature forgée dans le journal Les Temps nouveaux et forcenée du compromis qui a fait « la brillante synthèse trostko-mao-lanaco-féministe ». Un peu comme si Eugène Green reconstituait une bataille rangée long d'un demi-siècle entre les classiques et les modernes, toute la seconde moitié du XXe siècle à travers les conflits intellectuels qui ont opposés les différentes écoles de pensées, jusqu'à la création d'une farfelue Université Paris-XXXVIII où Marie-Albanne va enseigner la sémiologie et faire des recherches sur l'art scriptural des toilettes publiques... 

Sartre vs Mauriac ?

Des barricades de 1968 où Marie-Albane se découvre une vocation, en passant par les gender studies, tout ce que propose Marie-Albane, jusqu'au final façon pastorale maoïste, fait s'étrangler  Amédée Lucien Astrofolli élu à l'académie des Perpétuels Jeunes, et ce n'est que provocations et réponses, prises de postions, batailles de camps retranchés... 

Au terme de cette très agréable lecture, on ne sait pas lequel des deux belligérants est le plus ridicule, ou bien simplement ce sont ces débats, l'un chassant l'autre, qui ont agités les camps opposés de l'intelligence française, qui réduisent l'intelligence elle-même à n'être que l'outil de son propre ridicule. Une saine manière de prendre un peu de hauteur par rapport aux donneurs de leçons et aux exaltés. 

Loïc Di Stefano

Eugène Green, Les Atticistes, Gallimard, "La Blanche", octobre 2012, 207 pages, 17,90 euros

En complément :

2 commentaires

Dans l'intransigeance de ceux qui considèrent Voltaire comme un horizon indépassable de la littérature française, je retrouve quelque chose de Désiré Nisard.

Les premières pages sont assez drôles et contiennent un humour savamment dosé entre élucubrations, érudition et critique.

Je vais l'acheter.