Tropique de la violence

Côté pile, une île paradisiaque entourée d’un océan d un bleu magnifique et brillant qui n existe que dans cet endroit du monde, recouverte de jardins d éden où poussent les hibiscus aux cœurs rouges et aux pistils jaunes, les frangipaniers, les lauriers roses, les bougainvillées. Côté face, c’est l’enfer avec sa litanie de défaites humaines : L’obscurantisme, la violence, le dénuement absolu sur fond de croyances d’un autre âge.


Marie, une infirmière française épouse et suit un majorais qui la quitte bientôt pour une comorienne sans papiers. Sa vie bascule une première fois, puis une deuxième, un soir où accoste une kwassas sanitaire, une barque chargée de clandestins tous droit sortis de la cour des miracles. Parmi eux, une fille de dix sept ans avec son enfant atteint d’hétérochromie, une maladie héréditaire bénigne : il a un œil vert et un autre noir. Il est donc le rejeton du djinn, l’esprit mauvais, il porte malheur. Elle l’abandonne. En manque d’enfant, l’infirmière l’adopte plus ou moins légalement. Moins que plus, comme tout à Mayotte. Durant quatorze ans, tout se passe bien entre la mère et le fils, baptisé Moïse. Il lit beaucoup, il aime son chien Bosco et l’école. Jusqu’à l’adolescence où c’est plus difficile. Tout à coup, Il refuse sa vie protégée de blanc, lui qui est noir, ne sait plus qui il est vraiment. Il se révolte. Marie meurt brutalement, le monde désormais honni mais rassurant de sa mère s écroule. Il rejoint "Gaza", un bidonville d’adolescents placés sous la coupe de Bruce, un dur de dur à peine plus âgé que lui, qui trafique, vole et tue comme il respire.


La vie de ces mômes drogués, soumis, alcoolisés est apocalyptique. La fin sera tragique, il n y a pas de happy end dans ces territoires perdus de la République à des milliers de kilomètres de Paris, à des années lumière de la civilisation ou l’un des divertissements du samedi est le Mourengué, un combat à mains nues, sans aucune règle venu du fond des âges. Celui qui laisse pour mort son adversaire a gagné. Parfaite métaphore de la vie impossible sur l’île : "Écoute mon pays qui gronde, écoute la colère qui rampe et qui rappe jusqu’à nous"

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Dans son sixième roman, Natacha Appanah aborde un monde peu connu et proprement terrifiant avec les enfants et adolescents isolés de Mayotte. Ces enfants de familles trop nombreuses, incapables de les élever, arrivent le plus souvent des Comores. Abandonnés, ces jeunes non scolarisés vivent de vols et de prostitution selon la loi du plus fort.


L'île doit faire face à une problématique insoluble avec les sans papiers comoriennes qui viennent y accoucher pour que leurs enfants soient français. Sans jamais juger, l’auteur décrit à travers des personnages totalement pervertis par la misère extrême un univers sans espoir.


Dans ce chaudron du bout du monde, juges, éducateurs, policiers, pompiers, personnel hospitalier perdent la tête et la raison. Avec Tropique de la violence, Natacha Appanah livre un beau et âpre roman à l’émotion palpable. Elle ne tombe jamais dans le cliché mais décrit une réalité dramatique, dans un roman apocalyptique et visionnaire de ce que pourrait être la société de demain. A Mayotte, et ailleurs.


Brigit Bontour


Natacha Appanah, Tropique de la violenceGallimard, août 2016, 180 pages 17,50 €

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