Shumona Sinha : la traversée des langues et des frontières

Shumona Sinhan est une romancière franco-indienne. Née à Calcutta elle est venue en France en 2001 pour achever ses études de lettres modernes à la Sorbonne. Elle travaille dès 2009 comme interprète dans une organisation internationale pour les migrants et commence à écrire des romans : Fenêtre sur l'abîme puis Assommons les pauvres ! inspiré de son expérience d'interprète à l'Ofpra. Elle y raconte les conditions de vie des demandeurs d’asile.

Très remarqué ce roman - traduit en plusieurs langues - a été adapté pour le scène en Allemagne. Elle publie ensuite une autre fiction remarquée, Calcutta qui évoque, à travers l'histoire d'une famille, les violences politiques du Bengale occidental. Suit "Apatride" où la romancière décrit les destins croisés de trois femmes de l'Inde à la France.

Son cinquième roman, Le testament russe, évoque la fascination d'une jeune Bengalie pour un éditeur juif russe des années 1920, fondateur des Éditions Raduga. Détestée par sa mère et mise à l’écart par les adolescents de son âge, l'héroïne trouve refuge dans les livres elle se prend de passion pour cet éditeur mythique.
L'héroïne retrouve la trace de la fille octogénaire de l'éditeur dans une maison de retraite à Saint-Pétersbourg. Elle décide de lui écrire. Se correspondante russe l'évoque ainsi : Cette jeune femme d’un pays si lointain où les vaches sont plus précieuses que les femmes fait trembler ma nuit, fissurer le sol sous mes pieds et je ne sais pas si c’est de la peur ou de la joie que j’éprouve en la voyant soulever la pierre tombale.

Et dès lors ce sont deux histoires d'exil et de lutte qui se croisent au sein d'une prose quasi poétique. Cohabitent dans cette fiction celles qui combattent deux formes d’oppression. D'un côté la dictature soviétique qui bannissait les livres et s’acharnait contre les poètes lorsqu'ils n'étaient pas "dans la ligne". De l'autre la famille et la tradition étouffante en Inde.

Shumona Sinha permet par un roman "à la française" de réunir la littérature russe et la culture du Bengale-Occidental. La créatrice montre par le désir et la pratique d'une langue étrangère comment se crée une réflexion sur la puissance de la langue maternelle et comment celle-ci perdure dans un langage tiers.
 

Jean-Paul Gavard-Perret

Shumona Sinha, Le testament russe, Gallimard, mars 2020, 208 p.-, 18 €

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