Le Grand siècle des peintures

Plus de 500 000 œuvres figurant sur la base de données, environ 37 000 exposées, de gigantesques réserves, près de 10 millions de visiteurs, le Louvre est bien le plus grand musée au monde. Derrière les chiffres, plus prestigieuses encore, des collections dignes d’une admiration universelle et des créateurs dont les talents traversent les temps.
Le bâtiment impressionne par son architecture à laquelle, du Moyen-Age aux grands travaux contemporains, ont contribué des architectes de renom comme Pierre Lescot, Louis Le Vau, Charles Percier, Ieoh Ming Pei. Le vaste édifice touche aussi les mémoires car de Philippe-Auguste à Napoléon III, en passant par François 1er, Henri II, Catherine de Médicis, Henri IV, Louis XIII, se sont succédé là presque tous les souverains. Parmi eux, Louis XIV. C’est lui qui effectuera de 1653 à 1670 le plus de travaux d’aménagements et embellissements.

Sous son règne, les arts sont florissants. Il s’en est fait le protecteur. On retient davantage les noms de Molière, Lully, Le Nôtre, Mansart que ceux de ses victoires. Il aime la peinture autant que la danse. Le roi a commandé au peintre Charles Le Brun un cycle sur les batailles d’Alexandre. Hommage suprême, il vient régulièrement le voir travailler dans son atelier. Exécuté en 1664-1665, le tableau Le Passage du Granique constituait pour l’historien d’art Jacques Thuillier, qui fut aussi collectionneur et professeur au Collège de France, l’un des plus grands efforts de la peinture française et la seule grande épopée de ce siècle.
Le Brun réalisa 52 dessins préparatoires. Une œuvre de géant, à la mesure de cette rencontre qui opposa Perses et Macédoniens, fabuleux choc entre plus de 60 000 hommes dont rendent compte à la fois la fougue des mouvements, les contrastes de couleurs, la claire maîtrise du pinceau, une dynamique monumentale qu’ordonne la puissante diagonale, prise dans la lumière. Souligné à dessein dans la profondeur, le terrible et héroïque enchevêtrement d’hommes et de chevaux évoque les fureurs de La Bataille d’Anghiari de Léonard de Vinci.  

Comme pour chaque tableau repris dans ce magnifique ouvrage, Nicolas Milovanovic, conservateur en chef au département des Peintures, donne au lecteur en relation avec les 626 œuvres qu’il recense toutes les clés pour les comprendre et en suivre le cours : la genèse, les raisons historiques, les commanditaires, les lieux de leur destination, la clientèle, les éléments essentiels bien sûr comme la date, les dimensions, la signature. Il commente les compositions, il propose des comparaisons, il cite des extraits de lettres et des anecdotes, il explique les attitudes des personnages de manière à faire entrer le regard du lecteur dans leur réalité, comme par exemple pour cette humble et méritoire Famille de paysans de Louis Le Nain (1642), les mots venant au service de ces portraits doublement touchants et vrais pour mieux les animer.
De même nous invite-t-il à bien observer certaines œuvres qui méritent une attention particulière, telle La Diseuse de bonne aventure de Valentin de Boulogne qui renvoie à un modèle caravagesque mais dont les protagonistes ont une dignité et même un air de tristesse mélancolique qui transforment l’atmosphère du tableau.

Assurément, dominent les maîtres du siècle dont le génie éclate toile après toile, au premier rang d’entre eux Nicolas Poussin et son incroyable registre de tons, Claude Gellée dit Le Lorrain et ses paysages arcadiens, Georges de La Tour jouant sur les contrastes d’ombres et de clartés intérieures (La Madeleine Terff). On entre dans de pures merveilles d’harmonie, d’équilibre, de créativité, quand l’imagination déborde les thèmes bibliques et mythologiques pour leur donner une aura d’éternité qui parle encore à nos sensibilités.

Mais c’est aussi avec intérêt et plaisir que l’on voit les tableaux des autres artistes qui ont participé à la gloire inégalée de l’école française, Laurent de La Hyre, Philippe de Champaigne, Charles de La Fosse, Pierre Mignard, Simon Vouet, les Coypel, ces derniers  formant une longue dynastie de peintres. Ils n’ont pas à rougir de leurs titres d’éminents artistes, d’avoir fait partie de l’Académie, d’avoir travaillé pour les princes. Ils sont les acteurs de cette vaste fresque esthétique.
Afin de la traduire visuellement pour nous, ils suivent les chasses antiques, ils assistent à des concerts, ils relatent des récits évangéliques, ils signent de brillants portraits, ils  témoignent des scènes de batailles, ils agencent des natures mortes et conçoivent des allégories à la fois aériennes et subtiles, ils racontent les faits et gestes des élus du ciel comme cette Vie de saint Bruno  d’Eustache Le Sueur, une suite de 22 tableaux sur bois cintré. Viennent ensuite peu ou pas connus, non sans valeur cependant, des artistes qu’il est utile de découvrir, Blin de Fontenay, Quentin Varin, Guy Louis Vernansal, Jacques Hupin, sur lesquels les informations sont parfois plus rares.    

Dans son introduction, l’auteur de ce qui constitue de par la richesse des informations, la précision des bibliographies, l’abondance des illustrations contenues une sorte de catalogue raisonné aussi remarquable que séduisant, reprend en lien avec les différentes périodes historiques les étapes des présentations et des accrochages des tableaux. Pour accueillir l’école française, il faut un lieu aux dimensions du Louvre. Pour profiter de cet univers de chefs d’œuvre et y entrer avec le plaisir qu’il promet, il convient d’avoir pour guide un ouvrage de cette qualité.

Dominique Vergnon

Nicolas Milovanovic, Catalogue des peintures françaises du XVIIᵉ siècle du musée du Louvre, 230 x288 mm, illustrations, Gallimard, octobre 2021, 336 p.-, 65 €

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