Une enfance avec Marc Chagall

Ce récit initialement paru en 2003 nous revient agrémenté de 47 dessins, photos et croquis de Marc Chagall – issus de la collection personnelle de l’auteur –, un enchantement qui offre une nouvelle manière de mieux connaître l’intimité du vieux faune de St Paul. Grâce à ces dessins ouvertement candides et colorés, on apprend à mieux cerner l’œuvre chagallienne qui réside, comme Turner, dans l’infini détail – il faut s’amuser à chercher le petit personnage, ou l’objet adroitement dissimulé. Une approche qui m’a ramené vers le peintre avec qui je partageais peu d’affinités électives au premier abord, preuve qu’il faut revenir plusieurs fois sur une œuvre pour parvenir à en ressentir toutes les facettes ; ainsi, au fil du temps, sur les conseils de mon ange silésien, puis après avoir corrigé les épreuves d’une monographie, j’ai appris à apprécier, voire à aimer cette peinture si particulière, si colorée parfois… 
Porté par une langue guillerette et enfantine, le récit de David McNeil n’en est pas pour autant une bluette mais bien une œuvre littéraire à part entière, une langue riche et guillerette qui charme le lecteur par l’ambiance dépeinte, les jeux de mots et situations cocasses – le prélat de Paul VI qui fait tapisserie en attendant le retour du maître, parti nager, sa femme ayant oublié la visite –, les descriptions des paysages et des coutumes locales, et les idées fo-folles – le mariage de David avec Géraldine Chaplin – plus quelques informations croustillantes, comme cette toile de Léger découverte par sa veuve dans un grenier – quatre ans après la mort de l’artiste – mais dont il ne fallait pas s’approcher de trop près car… la peinture n’était pas sèche (sic). Mais il fallait bien financer le musée de Biot.

Lors de nos promenades, route de Saint-Jeannet, j’avais dix ou douze ans quand mon père, fièrement, m’avait annoncé que Chaplin et lui avaient fait le projet de nous marier un jour, Géraldine et moi, le gamin du Baou et la fille ainée de son génial ami. […] Géraldine, la coquine, ne m’avait pas vraiment attendu et avait épousé un metteur en scène plus ou moins espagnol. Mais j’ai toujours pensé que cette trahison venait de ce que la belle ignorait le projet de nos géniteurs, j’ai du mal à croire que ce soit autre chose, la réputation des metteurs en scène plus ou moins espagnols est, comme on sait, tout à fait surfaite, contrairement à celle des apprentis potiers de chez Madoura […]

Né aux États-Unis, puis enfance à Vence avant de partir en pensionnat en Belgique, l’apprentissage du jeune David ne fut pas rose tous les jours, surtout après la séparation de ses parents et l’arrivée de sa belle-mère, Elle qui manipulera le contrat de mariage et n’aura de cesse de compter le moindre sou – sans oublier le sacro-saint mois de vacance à Sils Maria où chaque toile de Chagall sera vendue aussitôt achevée à un marchand genevois et le chèque transformé en lingots d’or adroitement oubliés dans un coffre à Zurich –, de manipuler l’artiste et de le couper du monde ; mais rien de comparable au cauchemar des enfants Picasso. Au contraire, Chagall s’offrait des instants particuliers avec son fils, aussi bien dans son atelier qu’en virée avec Aimé Maeght. Sinon il traînait ici et là, l’œil aux aguets, sachant se rendre invisible pour mieux observer, et ainsi s’amuser chez Madoura à singer Picasso et son père qui redoublait de créativité dans une course toute puérile mais que l’égo des deux artistes nourrissait à chaque instant. 
Bible pour les historiens de l’art ou les simples amoureux d’histoire, ce récit plante un décor désormais oublié voire ignoré de tous, cet arrière-pays niçois des années 1950-60 où l’on parlait patois, où la vie était douce et réglée par des rites ancestraux, comme le cérémonial de la cosse de marron que l’on offrait à son amoureuse, et qui nécessitait force chamailleries et courses poursuites dans les ronces pour arriver à ses fins.
Un délice de lecture à sélectionner dans les cadeaux futurs à destination du célèbre sapin… qu'un éclairage à la bougie rendra d'autant plus féérique.

François Xavier

David McNeil, Quelques pas dans les pas d’un ange – Une enfance avec Marc Chagall, coll. Blanche, 47 illustrations couleur, 185 x 235 mm, Gallimard, novembre 2022, 25€

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