La joaillerie, actrice de théâtre

Sans ces bijoux qui participent à leur élégance, les acteurs n’auraient-ils pas moins de prestance et de puissance de conviction ? Les bijoux qu’ils portent ne sont pas de vains accessoires.
Particulièrement dans certaines pièces où l’histoire au sens premier constitue la trame du drame. Peut-on imaginer les interprètes de Phèdre, Athalie, Agrippine, Britannicus, Ruy Blas, Marie Tudor, Cléopâtre, Bajazet et de tant de chefs d’œuvre du répertoire ne portant pas couronnes, cabochons, bracelets, poignards, peignes de perles, bagues, colliers, diadèmes et pendentifs, illuminant et se propageant, selon l’expression, sur les robes et les capes, les costumes militaires et les vêtements à l’antique ?
Ajoutant ce brillant où s’accrochent les feux de la rampe et renforcent paradoxalement l’obscurité de la salle,  les bijoux des acteurs de la Comédie Française tiennent une place de choix et complètent autant discrètement que visiblement les talents. À l’évidence, discrètement ou avec éclats, ils accroissent les postures, les discours, les passions, l’enchantement que procure une soirée au théâtre.  
À Talma, Sarah Bernhardt, Melle Raucourt, Rachel, la grande prêtresse de la tragédie classique, la célèbre Geneviève Casile, Paul-Emile Deiber, Julia Bartet, Béatrix Dussane, la sociétaire des sociétaires, Mounet-Sully qui fut doyen, ces parures, ces diamants et ces ornements apportent des notes de séduction indispensables à la réalité de leur rôle. Le faux ici devient vérité, tant la qualité, la précision et l’esthétique de ces bijoux sont exceptionnelles et riches du savoir-faire des maisons les plus réputées et des ateliers les plus créatifs qui travaillent pour ce lieu unique situé au centre du Palais Royal et fondé par ordonnance royale de Louis XIV le 21 octobre 1680. Si un nom lui est attaché, c’est bien celui de Molière.     
Dans ces créations successives, allant du plus classique aux fantaisies de l’Art nouveau, les grands noms des arts sont parties prenantes, que ce soit des peintres comme Jacques-Louis David, Alphons Mucha ou Gustave Moreau qui dessina les costumes de l’opéra Sapho de Massenet, sans parler d’un homme qui fut à la fois peintre et comédien, Edmond Geffroy (1804-1895).
Celui-ci peignit tous ses confrères et créa la pièce Chatterton d’Alfred de Vigny.  Que ce soit celui des joailliers réputés comme René Lalique.  
Toutes les matières permettant une imitation parfaite des vrais bijoux et une juste ressemblance sont utilisées, en s’autorisant toutefois les innovations qui rehaussent la magnificence des tenues et la noblesse des gestes des Dieux des planches. Certains objets sont d’ailleurs conservés dans des musées, comme le musée Lambinet à Versailles.
Cet ouvrage très documenté et magnifiquement illustré accompagne l’exposition prévue à l’Ecole des Arts Joailliers dont les dates seront prochainement confirmées. C’est sans doute grâce ces merveilleux bijoux de pacotille selon le mot d’Eric Ruf, Administrateur général de la Comédie-Française, mais créant les illusions du vrai, que le public vient au théâtre pour se reconnaître, se pencher sur le miracle angoissant de ce qui nous constitue miracle et nous dissout.

Dominique Vergnon

Agathe Sanjuan, Guillaume Glorieux, Bijoux de scène de la Comédie-Française, 195x255 mm, 175 illustrations, Gallimard, septembre 2023, 300 p.-, 39€

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