Georges Didi-Huberman : quand les drapeaux se soulèvent

Entre lumière et poussière, dans un petit dessin de Courbet, un révolté solitaire (bourgeois prolétaire) au front haut est là pour illustrer un numéro du  "Salut publique" la revue de Baudelaire en 1948. Didi-Huberman à partir cette œuvre crée une analyse de l'Histoire. S'y invente un gai savoir inquiet et visuel au nom de Georges Bataille et d'Aby Warburg qui firent, avant lui,  éclater bien des cadres.
Contre toutes les captures idéologiques le philosophe continue un travail de reconstruction de l'art moderne à partir d'éléments cruciaux et disparates. Le tract entre autres. Propre  au soulèvement, il n'est pas seulement mots d'ordre mais  possède une puissance de poésie et d'image.

Le geste politique, entre réalisme et romantisme, casse donc  l'histoire des styles. Et le dessin de Courbet reste à ce titre exemplaire :  il soulève les plis du vêtement comme de l'Histoire en devenant un gros plan documentaire et allégorique au milieu des drapeaux et de la draperie.

Didi-Huberman rappelle que chez Delacroix cette dernière s'envole de manière érotico-poétique (comme d'ailleurs chez Eisenstein) entre désir et révolte. Dans les deux cas il existe tempête et émeute, érotisme et politique au sein d'un  lyrisme d'un romantisme révolutionnaire.
Une sensualité de l'aventure humaine se trace dans le soulèvement des tissus et l'espérance qu'il entend. Il est acquiescement, débordement, libération dans le trop de l'hors-soi au moment où celui-ci se dilate au sein de  l'infini turbulent cher à Michaux.

Le soulèvement pour Georges Didi-Huberman élimine l'espace contre la "soumission" soulignée par Houellebecq. Il y a là une expérience des limites. L'être devient foule à lui-même au moment où le désir paraît indestructible.
En conséquence le destin de l'individu se mêle à celui des peuples en nos temps post-historiques sombres. L'art crée – loin des murs blancs des musées et ses faiseurs (type Wei-Wei) - la mission (et que cela serve ou non) aux Goya de chaque époque : il s'agit de porter la souffrance et le désir de celles et ceux qui revendiquent le soulèvement.

Souvent celui-ci rate mais leur somme réussit, comme écrit Judith Butler dans ce livre. Chaque artiste transmet  en effet le feu du désir et du plaisir. Il existe bien sûr, dans ce mouvement, des martyrs et des tempêtes mais quelque chose se libère par insurrection poétique chère – comme le rappelle l'auteur – à Jean-Jacques Lebel.
 

Jean-Paul Gavard-Perret

Georges Didi-Huberman (sous la direction de), Soulèvements, 300 illustrations, relié avec couverture cartonnée & imprimée, 165 x 230, Gallimard/Jeu de Paume, octobre 2016, 432 p.-, 49,00 €

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