Ajours où la quête de vie

Écrire ses mémoires n’est-ce pas trahir la vérité, chambouler les apparences, réinterpréter les souvenirs, recomposer les faits, un peu comme traduire un texte impose forcément une autre lecture ; ainsi Gérard Titus-Carmel se poste-t-il la question de l’ordonnancement des images qui remontent : le désordre occasionné par cette extraction condamnerait à l’écroulement, puis à effacement définitif de pans entiers de la mémoire. Faire un tri ? Laisser venir dans le désordre ?
Pour fil rouge, notre peintre écrivain aura quelques photos découvertes au fond d’une boîte croisée au hasard d’un rangement ; lesquelles vont ponctuer ce gros pavé de leur lumière d’époque, imprimant à nos rétines un peu de nostalgie…  

Gérard Titus-Carmel est honnête : il sait que tout est mixité et que les silences sont plus parlants que les mots, aussi extirpe-t-il du fond de la langue ce trou d’ombre qui cache bien des mystères. Vivons-nous dans le mensonge par le biais d’un cerveau qui ne retient que ce qui l’arrange ? Ainsi la fable que nous nous racontons rend-elle plus admissible ce passé qui nous taraude. Aussi la relation de cette partie de ma vie ne vise-t-elle pas le but de ce que la pure autobiographie ambitionne : la vérité d’un passé, espérant qu’en fouillant dans ce qu’il fut, il nous révèle la vérité de ce qu’il est.
Mais tout n’est-il pas que littérature ? 

Il advient cela que, certains jours, mon corps "ne m’existe à moi-même" que dans le simulacre d’être, puisque enfant errant, sans père vivant, sans mère aimante, sans famille stable ou simplement définie, je ne doive qu’à moi-même le droit de me déclarer présent dans une réalité sans contours

Les livres se succèdent dans les premières années de vie : Gérard Titus-Carmel eut une enfance compliquée avec un beau-père taciturne et une mère distante aussi introduisit-il à sa solitude un interlocuteur à qui poser toutes les questions qui se bousculent, et un endroit magique où l’ardente lumière, à la fois domestique et violente, lui procurait un troublant sentiment de merveilleux égarement
Ainsi rencontra-t-il la poésie, cette part de rêve inventé à partir d’où la peinture prend son élan avant de se déployer dans son propre espace. Ce sera, en 1955, la Bretagne qui réveillera le jeune peintre qui dormait en lui. Subjugué par la richesse et la transparence de la lumière autant que par la profondeur toute secrète des couleurs, ces gris irisés par les pluies, ces autres bleutés d’ardoise et de cendre mêlés, les verts aussi tirant sur l’émeraude claire parmi les flaques, le cuir brillant du goémon, les tons mauves et de lilas rompus des hortensias… 

Contre l’insondable mystère de la peinture et les vertiges du récit de mourir où nous entraine la littérature, que pouvait cette désolante ambition d’aller plus vite, de sauter plus haut, de lancer plus loin ? 

Hors compétition, Gérard Titus-Carmel est l’artiste de la beauté capturée dans l’instant du sacrifice, cette rencontre improbable qui se produit si souvent mais que nous ne voyons plus, accaparés par nos écrans. Merveilleux conteur, il nous entraîne à sa suite dans un florilège de moments rares, parfois cruels, toujours poétiques, drôles aussi, qui nous peignent une époque révolue avec le charme des détails d’autrefois. Ces quartiers populaires au rythme particulier où les enfants s’inventaient des jeux avec trois fois rien…

Embarquez sur la navette Ajours le temps d’un soupir, de partager avec l’auteur des émotions d’hier, d'une époque où l’on savait prendre le temps de vivre. 

François Xavier

Gérard Titus-Carmel, Ajours – Un rêve autobiographique, coll. Littérature, L’Atelier contemporain, septembre 2021, 784 p.-, 25 € 

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