Henry de Monfreid, journaliste et aventurier

Excellente idée que de ranimer le personnage d’Henry de Monfreid, écrivain à succès de l’avant-guerre, à l’égal d’un Joseph Kessel, qui lui mit d’ailleurs le pied à l’étrier ou vaut-il mieux dire, la main à l’encrier. Journaliste, aventurier, trafiquant, sa vie et surtout sa sensibilité étaient assez riches pour qu’il lui suffît d’y puiser s’il voulait écrire des romans. Il ne fut pas, du moins qu’on le sache, poète, mais il aurait pu être un prolongement de Rimbaud, dont il reprit d’ailleurs le sillage dans cette Mer Rouge qui fut le principal théâtre de ses exploits pendant un demi-siècle.

 

La force de sa plume apparaît dans cette peinture de son enfance que constituent les deux volumes que voilà, cinquième et sixième d’une série intitulée L’envers de l’aventure. On connaissait Monfreid la tête brûlée, on n’aurait jamais deviné l’intimiste qui, cinquante ans après ses premières errances, se mit en demeure de raconter la formation  du baroudeur légendaire dans les fermentations de la province française. Dans L’Abandon, chaque épisode d’un commencement de vie hélas banal s’impose par l’art du récit et les portraits campés d’un  trait acerbe. On n’oubliera pas l’infernal Hollard, son condisciple à l’École alsacienne de Paris en 1889, mais on n’oubliera surtout pas Amélie, la mère, une de ces femmes qui incarnaient autrefois les vertus dites masculines, un peu dilapidées par les hommes. Car George, le père, était peintre, ami et disciple de Gauguin, et peu souvent présent au foyer. Des reproductions de ses œuvres ornent d’ailleurs les couvertures de ces deux livres. Nulle surprise à ce que l’enfant d’un couple désuni fût tenté par les grands ailleurs. Les enfants d’alors étaient précoces, ils nourrissaient des rancoeurs d’adultes. À 32 ans, en 1911, Monfreid quitta la France.

 

L’Abandon fut achevé tard dans sa carrière, en 1961 : l’aventurier retraité avait alors 88 ans. On croit lire un jeune homme.

 

L’Exilé commence par une vengeance de garnement : il tend un fil sur le passage d’une maritorne antipathique, « ancienne grue tombée en dévotion » ; elle s’écroule en croyant accéder à un fauteuil payant au jardin du Luxembourg. C’est presque du Maupassant. Mais le tissu des pages est, là encore, la formation d’un caractère d’enfant rebelle dans la vie provinciale française à la fin du XIXe siècle. On évoque parfois, fugacement, Les désarrois de l’élève Törless de Musil, et parfois le Sébastien Roch d’Octave Mirbeau ; le fantôme de l’homosexualité rôde dans cette galerie de personnages qui semblent dessinés par Daumier, tels l’indécent Antonin, qui devint ensuite si beau dans son surplis et sa toque rouge d’enfant de chœur... Et là aussi, on conçoit l’étouffement d’une âme sensible et le besoin de grands vents, comme ceux qui courent au large de la Corne d’Afrique.

Des pages denses, colorées, troublées et troublantes.  

 

Gerald Messadié

 

Henry de Monfreid, L’Abandon, Grasset, 277 p., 14, 20 €, L’Exilé, Grasset, 263 p., 14, 20 € 

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