La collection des pastels du Louvre

"La pâte du pastel arrêtée à l’ombre, qui n’est pour ainsi dire qu’un glacis de crayon, donne à toute la tête la transparence de la chair. Le pastelliste a fait des merveilles d’adresse et d’exécution…".
Ces mots, Edmond et Jules de Goncourt les écrivent dans leur ouvrage L’Art du XVIIIème siècle au sujet de Maurice Quentin de La Tour, considéré par beaucoup comme un des plus éminents pastellistes de toute son époque, au point d’être appelé le prince des pastellistes.
Diderot qui salue son caractère au bord de l’insolence estime que "ce peintre n’a jamais rien produit de verve; il a le génie du technique, c’est un machiniste merveilleux". Mais si cet artiste est effectivement incomparablement brillant et sa manière lui permet de rivaliser avec les plus grands peintres, d’autres noms méritent tout autant d’être reconnus, salués et peuvent bénéficier des mêmes éloges.
Ainsi de Jean-Baptiste Perronneau (1715-1783) qui se révèle être un remarquable pastelliste et "suit les traces de fort près" ( de son modèle). Rival de La Tour, il doit être placé sans conteste au rang des quelques pastellistes majeurs, entre autres pour son esprit et ses touches légères, marquant les contrastes.

Ces artistes experts dans la maniement de "cette poudre si délicate à poser", selon les mots de Jean-Luc Martinez, apparaissent un à un au fil de ces pages qui présentent la collection du Louvre, la plus importante non seulement en France mais en Europe, vraisemblablement au monde en ce qui concerne les deux siècles retenus ici, le XVIIème et le XVIIIème. Un temps de l’histoire de l’art au cours duquel cette technique, qui exige une virtuosité particulière et unit le dessin à la couleur, a connu son apogée.
Citons par exemple parmi ceux qui sont peut-être moins réputés, Pierre Simon, Joseph Boze dont on remarque sur son autoportrait la "touche libre, de la fermeté, des effets de lumière…et des étoffes vraies" ; Joseph Ducreux, Adélaïde Labille-Guiard, femme qui se concilia tous les suffrages, reçue à l’Académie, au talent sûr, à la fois recherché et profond, lui permettant de saisir le caractère du modèle tout en jouant sur les contrastes de teintes pour les vêtements, comme le montre ce splendide portrait de François-André Vincent, de 1782, où l’on admire le rendu de "son habit de velours saumon, la perruque poudrée, le sourire aux lèvres", si bien que dans L’Année littéraire (VI, 1783, lettre XIII), que devant ces portraits, "on s’imagine converser avec les personnes dont elle offre une image fidèle".
Les quatre œuvres signées par cette artiste en apportent une preuve éloquente.
Par comparaison, le visage charmant, velouté, fleuri dans les cheveux, de sa fille par François Boucher, au demeurant un très grand peintre, semble idéalisé et presque mièvre à force d’achèvement. Identique impression avec ces "têtes de fantaisie" de Rosalba Carriera, malgré une grâce évidente.  

 

Cette collection, précise au début de ce magnifique ouvrage son auteur, Xavier Salmon, directeur du département des Arts graphiques et conservateur général du patrimoine, résulte "de la réunion de plusieurs ensembles formés sous l’Ancien Régime".
Elle s’est ensuite enrichie avec d’autres portraits comme celui de Madame de Pompadour, exécuté par La Tour. A l’occasion des expositions dans les salles du Louvre, le public pouvait voir se côtoyer les noms de Nanteuil, Le Brun, Vivien, Rosalba Carriera ou encore Chardin. En 1895, séduit par l’Autoportrait aux bésicles de ce dernier artiste, exécuté en 1771, Proust écrit à ce sujet des lignes pleine de finesse et de psychologie qui vaudraient d’être reprises in extenso, notant l’énorme lorgnon descendu jusqu’au bout du nez qu’il pince de ses deux disques de verre tout neufs, tout en haut des yeux éteints, les prunelles usées sont remontées, avec l’air d’avoir beaucoup vu, beaucoup raillé, beaucoup aimé, et de dire avec un ton fanfaron et attendri : "Hé bien, oui, je suis vieux".
La plus célèbre des femmes de cette période est sans conteste Elisabeth Louise Vigée-Lebrun, reçue à l’Académie en 1783, grande voyageuse, bien introduite à la cour. Peu courant, le profil autorise sans doute un travail plus rapide, mais sans que ne se perde une observation attentive assurant au visage toute sa valeur, comme on le voit avec le pastel d’Auguste Jules de Polignac, exécuté à la pierre noire et rehauts de pastel sur papier brun.   

 

En dehors des artistes français, un des autres avantages de ce livre extrêmement documenté, qui recense plus de cent soixante numéros retraçant l’histoire de chaque œuvre, est qu’il propose plusieurs artistes étrangers, certes plus ou moins connus mais qu’il n’est pas inintéressant de découvrir. Ainsi de John Russell, le seul britannique présent dans la collection, Benedetto Luti qui s’imposa à Rome, Gustaf Lundberg, auteur suédois d’un portrait de Vergennes qui se distingue par le soin apporté aux détails de la veste et du gilet du diplomate, Aleksander Kucharski, né en Pologne.
Tous ces tableaux, sous la fragilité apparente de la matière, mettent en valeur la solidité d’un métier.


Dominique Vergnon


Xavier Salmon, Pastels du musée du Louvre, XVIIème - XVIIIème siècles, 230 illustrations, 245 x 285, éditions Hazan, juin 2018, 384 p.-, 59 euros. 

 

 

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