Alexander Henderson, voir au-delà de l’objectif

La beauté échappe aux modes passagères disait Robert Doisneau, le photographe qui avait transformé la vie simple en une poésie quotidienne. C’est pour cela que l’exposition de 1951 au MOMA à New-York l’avait rendu célèbre dans le monde entier. Il estimait que saisir les gestes ordinaires de gens ordinaires dans des situations ordinaires représentait en soi une source inépuisable de beauté et d’intérêt.
Son œuvre en témoigne. Alexander Henderson pourrait être comme un de ses lointains inspirateurs. Par l’objectif de ses appareils, il voyait l’univers comme une ode à l’harmonie de tous ses éléments.    

Né dans les années mêmes où la photographie est découverte et se développe peu à peu, Henderson va lui aussi se consacrer à la vie quotidienne du Canada, celle des scènes de rue, des voyages, des marchés et des loisirs, mais également de la nature qu’il regarde avec passion, voyant dans ses manifestations les plus diverses comme des symboles du ressac de la vie et de la mort, du mystère du temps et de l’éternelle quête de l’humanité pour comprendre l’univers selon les mots de Stanley G. Triggs, qui a été conservateur au musée McCord de Montréal, un lieu qui se veut gardien du patrimoine canadien. Stanley G. Triggs est le premier biographe d’Henderson et a acquis les archives du photographe.

Appartenant à une famille fortunée écossaise, Henderson (1831-1913) arriva au Canada en 1855 avec sa jeune femme, Agnes Elder Robertson. S’initiant aux techniques de la photo, il devint comme il le disait, photographe portraitiste et paysagiste. Les fermes et les exploitations forestières, le découpage de la glace sur le fleuve Saint-Laurent, les jeux sur la patinoire de Montréal, le flottage des grumes, la construction d’un pont et la fabrication des canots en écorce dans les campements indiens, tout le spectacle des travaux et des jours furent l’occasion pour lui de rendre vivantes ces activités et d’en saisir autant l’utilité que la rareté, restituant fidèlement les gestes tout en leur ajoutant une part de grâce pour les anoblir.
Les grands espaces surtout le fascinèrent, ces immensités parcourues d’est en ouest où l’homme, ramené à sa petitesse, n’en ressent pas moins sa grandeur.
L’eau des rivières, des lacs et des cascades sauvages est partout présente, de même les arbres, les rochers, la neige. Plusieurs photos mettent en évidence la dureté des conditions d’existence quand on s’enfonce dans les vastes massifs montagneux, loin des villes et de la civilisation.

Avant la fin des années 1880, la photographie n’était pas un passe-temps très répandu, car elle coûtait cher, nécessitait un équipement encombrant et exigeait de longues opérations. D’ordinaire, lorsqu’on voulait acheter une photographie pour garder un souvenir de voyage, conserver une scène que l’on aimait ou offrir un cadeau, on s’adressait donc à un photographe professionnel. Pour répondre à cette demande, Henderson exposait des photographies qui pouvaient être montées, encadrées ou placées dans des albums. En outre, il publia deux petits recueils de vues de Montréal, l’un montrant la ville en été, l’autre en hiver note Stanley G. Triggs.
Remarquable photographe, amateur confirmé de cette pratique qui se répand désormais, Henderson saura se faire reconnaître et apprécier notamment en Grande-Bretagne.

Les vues rassemblées dans cet ouvrage qui accompagne l’exposition en cours permettent de mesurer leur exceptionnelle qualité de cadrage et de lumière. Chaque sujet est en quelque sorte une œuvre d’esthétique et de vérité, le renvoi d’une approche parfois méditative, parfois documentaire, relevant sans aucun doute de cette dimension coloniale évoquée dans le livre, mais pas uniquement, également de ce désir de rencontre avec un autre cadre de vie afin d’en traduire la puissance et la différence, d’un goût pour l’instant immortalisé, de rendre compte d’un contexte social nouveau.
À cet égard, les clichés qui se rapportent aux installations ferroviaires sont éloquents. Le progrès est là, temps éphémère et fragile face à la permanence de la nature. De celle-ci, jouant sur les contrastes et s’appliquant à en composer des séries d’études sur le ciel et la mer, l’objectif capte jusqu’aux moindres nuances.  

Dominique Vergnon

Collectif, Alexander Henderson, art et nature, 170 illustrations, 268 x 305 mm, Hazan, juin 2022, 224 p.-, 45€

www.musee-mccord.qc.ca

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