Max Ernst, la métamorphose des choses

Romantisme, symbolisme, surréalisme, futurisme, parmi tant d’autres mouvements qui en justifieraient également les liens, à quelle période, à quelle école, à quel courant artistique rattacher l’œuvre de Max Ernst ?
Entreprise pour ainsi dire utopique. L’œuvre déjoue les analyses, elle est trop libre, elle s’évade aussitôt des cadres habituels dès qu’on cherche à la définir. Elle résulte d’un lot de métamorphoses nées d’une combinatoire inédite d’images, pour reprendre les mots de Pascal Rousseau, l’un des auteurs de ce catalogue accompagnant l’exposition de Hôtel de Caumont (jusqu'au 8 octobre 2023), le prestigieux hôtel particulier du XVIIIe siècle devenu l’un des lieux culturels majeurs d’Aix en Provence. Né de la volonté tôt manifestée de Max Ernst de se donner au long de son existence tous les pouvoirs, son art relève d’une indépendance totale des écoles et donc de leurs cadres. Il a suffi à Max Ernst de déployer une infinité d’univers pour faire entrer nos regards dans cet arrière-monde des songes dont parlait William Blake, autre génie visionnaire.
Évoquant sa jeunesse, Max Ernst dira que mes yeux étaient avides non seulement du monde étonnant qui les assaillaient du dehors, mais aussi de cet autre monde mystérieux et inquiétant qui jaillissait et s’évanouissaient dans mes rêves. Deux ivresses qui se croisent, double inspiration qui fusionne. Comme il le fera sa vie durant, on peut aisément penser que dès le réveil, Max Ernst se mettait en demeure de retenir et transcrire sur le papier ou la toile ces dialogues entre des sphères de pensée en apparence éloignées et pourtant reliées chez lui par de rares et étranges correspondances. Afin d’associer les observations du jour aux perceptions de la nuit, de concilier au plus près les constats établis à partir de l’extérieur et les visions édifiées de l’intérieur, il a vu au-delà du visible. Il laisse une œuvre qui est une sorte de trait d’union entre l’intériorité, les rêves, les désirs, la spiritualité, la nature et la réalité, écrit au début de l’ouvrage Consuelo Nocita à propos du surréalisme.  

De ces sutures est né un univers esthétique profondément personnel qui ne manque pas d’interroger notre réflexion. Y entrer exige une adhésion préalable à ce langage onirique, l’acceptation de perdre ses repères habituels. On peut refuser la démarche et sa logique, passer outre un art de somnambule. Mais alors au risque de passer à côté  de ces mondes magiques et libérés, titre de l’exposition aixoise.
Max Ernst sort l’eau, la terre, le feu, l’air, le corps, tous les éléments et toutes les matières de leur ordre premier et de leur rôle naturel. Mais dans ce chaos apparent où les deux esprits, celui de géométrie et celui de finesse se croisent, rien finalement ne reste en désordre. Chez lui,  les objets usuels sont arrachés à leurs fonctions triviales comme le note Jürgen Pech à propos de l’œuvre sculpté, ils sont tirés de leur gangue, on assiste à une mise en suspens de leurs identités. A terme, de surprenantes propositions ! Aidé par le sens de l’ironie qui habitait l’artiste, son goût pour le bon goût et la légèreté, notre curiosité peu à peu s’aiguise, elle s’y retrouve, gagne un évident plaisir.

Voir Le Baiser (huile de 1927), La Tourangelle (sculpture de laiton poli avec patine dorée de 1960), le Monument aux oiseaux (huile de 1927), Danseurs sous le ciel étoilé de 1951, La Belle au bois de 1957, la Pietà ou la révolution la nuit (collage peint de 1923) ou encore la gouache et crayon sur papier qui a pour titre Portrait d’un poète anglais (Dylan Thomas), donne déjà quelque idée d’un parcours riche et infiniment créatif. Max Ernst est un magicien pluriel.
À ce dialogue au long duquel se délectent le néant et son trouble, s’ajoute toujours des touches de fantaisie, de comique, de bouffonnerie. Le hasard est le maître de l’humour estimait Max Ernst. Il devient un chercheur de nouvelles harmonies nées de son magnifique cerveau hanté, ainsi que l’avait écrit André Breton. Les cent trente œuvres réunies pour cette occasion, venues de plusieurs musées européens et de collections particulières, permettent d’apprécier un artiste qui invite à voir la métamorphose des choses à travers son prisme. Il souhaitait que son art garde son mystère et reste inacceptable pour les spécialistes de l’art, de la culture, du comportement, de la logique, de la morale. La part d’énigme demeure.

Dominique Vergnon

Martina Mazzotta, Jürgen Pech, Max Ernst, mondes magiques, mondes libérés, 240x280 mm, 170 illustrations, Hazan, mai 2023, 192 p.-, 29,95 €

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