La guerre d’Espagne sous nos yeux

Elle sort enfin de son oubli cette œuvre longtemps cachée dans des boîtes rouges. Une occasion inespérée de pouvoir l’admirer, plus de 80 ans après sa réalisation par un photographe qui tout en prenant ses photos signait en quelque sorte son testament esthétique.
Des milliers de clichés retrouvaient la lumière. Cet ensemble demeure plus vivant et authentique que tout autre reportage. C’est le regard avant tout privilégiant l’humain qui inspire chaque prise de vue d’Antoni Campañà i Brandanas. Républicain, démocrate et croyant, amoureux de son pays et de ses traditions, ce photographe n’est pas ou peu connu, c’est dommage. Il appartient au mouvement pictorialiste qui à partir des années 1880 et pendant une trentaine d’années, a voulu faire de la photographie plus qu’une simple relation documentaire, une nouvelle peinture.
Si l’auteur intervient en retouchant les vues ensuite, c’est pour donner davantage de sens et de poids à son premier travail. Après l’œil, la main participe ainsi à l’élaboration des clichés pris dans le vif de l’évènement pour leur donner comme un supplément de vie. La puissance du noir et blanc déclinée sur tous les tons et nuances possibles de gris y contribue largement. 

Nous sommes donc là, en raison de son importance historique, de la qualité des vues et de ce regard profondément personnel devant une œuvre en soi. Toutes les photos réunies pour la première fois dans ce livre, publié à l’occasion de l’exposition ouverte au Pavillon Populaire de Montpellier, montrent comment le photographe politique se double d’un artiste.
Pas une qui en fixant l’instant ne soit tout autant une représentation qui prolonge la pensée. Que ce soit les faits d’armes, les scènes de rues, les moments de repos malgré les tirs voisins, les fusils et les mains qui se lèvent, les bombardements et les mouvements de foule ou les soldats au pas cadencé, les manœuvres militaires, les réfugiés aux traits tirés, les barricades et l’exil vers la France à la fin du conflit, toutes ces photos sont chargées d’une émotion et d’une vérité que les contrastes, les angles de lumière, la précision des cadrages accroissent jusqu’à en faire des tableaux parfaits. Le lien entre la célèbre toile de Delacroix, La Liberté guidant le peuple de 1830 et la photo de la Madone anarchiste est à cet égard éloquent.

Car si le talent d’observateur d’Antoni Campañà est déjà grand, celui de choisir la juste seconde pour fixer gestes et regards est plus élevé encore.
En temps de guerre, comprendre immédiatement comment exploiter les éléments survenant devant soi et faire que le spectacle qui serait pénible à voir soit dépassé par sa beauté est particulièrement difficile. C’est un vrai art que de trouver le bon équilibre entre le trop brutal de la guerre et le trop banal de son quotidien. C’est alors seulement que l’image peut délivrer son message. 
Véritable carrousel idéologique écrit l’un des auteurs de ce livre, ces photos construisent le cadre où se déroulent des faits qui s’enchaînent dans une violence d’autant plus forte qu’elle est contenue. Il s’agit de la Catalogne, avec Barcelone en son centre, qui pendant les trois années sanglantes que dura la guerre d’Espagne est le centre de ce théâtre. La ville est bombardée pour la première fois en janvier 1938.
La Catalogne reste fidèle à la République et vit en même temps un processus révolutionnaire mené par des milices anarchistes. La Generalitat organise la résistance et l'effort de guerre et subit les affrontements internes des différentes forces politiques et syndicales mobilisées. (extrait de CatalunyaHistorica ; femturisme.cat).
Au terme de ce parcours, une note d’espoir peut s’entendre, celle qui annonce qu’après les destructions et les haines, si la mémoire n’oublie pas, la vie renaît toujours.  

Dominique Vergnon

Arnau Gonzàlez i Vilalta et al., Antoni Campañà : icônes cachées, les images méconnues de la guerre d’Espagne (1936-1939), 114 illustrations, 390x280 mm, Hazan, juin 2023, 143 p.-, 24,95 €

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