Les Chouans, synthèse passionnante de Roger Dupuy

La collection "Pluriel" a entrepris, pour notre plus grand bonheur de rééditer les titres de la collection « vie quotidienne » de Hachette. Le volume proposé ici date de 1997. Il est dû à Roger Dupuy, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Rennes II.

Deux mythes en conflit

La chouannerie est un mythe emprisonné entre deux traditions historiographiques conflictuelles. Rappelons qu’il s’agit d’un vaste mouvement de résistance à la Révolution, qui enflamme le grand ouest  (Vendée, Bretagne, Normandie, Mayenne et Sarthe) de 1791 à 1801, avec d’ultimes convulsions en 1815 et 1830. Les deux principaux leviers de la révolte sont la persécution des prêtres réfractaires au serment de fidélité à la constitution civile du clergé et la levée en masse, donc la conscription militaire, décidée par la Convention en 1793. Du côté républicain, avec la plume si brillante de Michelet, les Vendéens et les Chouans sont des arriérés jetés dans la révolte par la collusion à la fois malsaine et suspecte entre leurs femmes et les prêtres et par le poids de la noblesse. Ils ignorent les bienfaits que la Révolution leur apporte. C’est ce que l’on retrouve du reste dans le fameux1793 de Victor Hugo. Le mythe royaliste, lui, puise ses racines dans les mémoires de Madame de la Rochejaquelein, de 1814. Le soulèvement de 1793 a été spontané et les paysans ont fait appel aux nobles qui, dans l’ouest, étaient gens modestes et proches d’eux, plutôt paternalistes. Les Chouans se seraient battus par attachement à une société équilibrée et patriarcale.

La Vendée puis la survie…

Roger Dupuy distingue plusieurs phases dans la chouannerie. Tout d’abord, elle est inséparable de l’épisode de la Vendée militaire. En mars 1793, les jeunes paysans de l’ouest se révoltent contre la conscription. Le phénomène est massif au sud de la Loire et aboutit à la formation de l’Armée Catholique et Royale. C’est un agrégat de troupes de villages qui se choisissent des chefs, nobles (comme La Rochejaquelein que les paysans tirent de force de sous son lit) ou pas (le voiturier Cathelineau des Mauges ou Stofflet le garde chasse). Après la défaite de Cholet le 18 octobre, les Vendéens passent la Loire et marchent sur Paris puis sur Granville où ils escomptent le soutien anglais. Cette aventure, au mauvais sens du terme, pour des hommes qui perdent leurs moyens quand ils sont loin de chez eux, est surnommée la « virée de Galerne ». Elle se termine par un désastre. Les Vendéens, augmentés des levées chouannes du nord de la Loire (notamment celle de Jean Cottereau dit Jean Chouan, qui guerroie entre Fougères et Laval), sont repoussés, refluent vers la Loire et sont massacrés, femmes et enfants compris, à Savenay, le 23 décembre 1793.
    
Dès lors la lutte change de forme. La guérilla s’impose au nord comme au sud de la Loire. Les survivants de la Vendée militaire agissent là où ils sont, au sud pour ceux qui ont trouvé des barques… La première phase est l’émiettement du combat, consécutif aux désastres éprouvés. On fait des embuscades, des escarmouches, on assassine les « patauds » c'est-à-dire les patriotes, les « bleus », on pille… On se cache dans des abris souvent souterrains où la récitation du chapelet sert de repas. C’est un combat de loups maigres qui mangent peu et courent vite, abandonnant jusqu’aux sabots pour sauver leur peau ! La mort de Jean Chouan, désespéré par l’exécution de nombreux membres de sa famille en représailles de ses actes, en juin 1794, marque un tournant symbolique.


Une armée contre la République ?


La seconde phase correspond à la prise de conscience par les chefs eux-mêmes de l’inutilité d’un combat qui ne menace en rien l’existence de la république. On essaye alors de structurer le mouvement pour lui donner une plus grande capacité de nuisance. Joseph de Puisaye, noble normand jeté dans le camp royaliste par la répression montagnarde sur les girondins, tente de fédérer les chouans et de capter l’aide anglaise qui se développe à proportion des victoires républicaines en Belgique. Les émigrés reviennent pour encadrer des chouans qu’on veut transformer en combattants réguliers. Mais les efforts, brouillons, entravés par les termes mêmes d’un conflit qui ne laisse pas la sérénité nécessaire au but poursuivi, se heurtent à la réalité paysanne. Les chouans se sont donnés des chefs qui ne voient pas pourquoi ils cèderaient la place à des chefs « parachutés », d’autant plus que ces chefs tombent comme des mouches faute de frugalité et d’expérience. Malgré tout, les nobles émigrés prennent les rênes du mouvement, à l’exception du Morbihan où Cadoudal, son lieutenant Mercier, tous roturiers, gardent le contrôle. Le point d’orgue de cette phase est l’affaire de Quiberon (juin-juillet 1795), où à l’initiative, notamment, de Puisaye, une petite armée d’émigrés, équipée par l’Angleterre,  débarque et se fait exterminer à force de tergiversations.


Des chouans incontrôlables ?


Quiberon est un désastre mais n’entame pas la détermination des chouans. On s’accroche à l’idée d’une organisation d’une véritable armée. L’or anglais et les pillages permettent de débaucher des bleus dont les qualités militaires « classiques » sont appréciées. On s’essaye à  l’uniforme. La république semble bousculée par les menaces auxquelles elle doit faire face et agit dans l’urgence, négligeant parfois gravement ses troupes : protéger les côtes, réduire l’opposition intérieure, se battre aux frontières… Les chefs chouans se retrouvent peu à peu isolés par la lassitude des paysans. Les chouans se transforment peu à peu en brigands qui attaquent telle ou telle personne réputée « collabo ». Si la communauté paysanne ne les approuve pas, elle se fait justice elle-même et l’on retrouve le brigand pendu à un arbre avec un écriteau… Les chefs se « crispent » et se lancent dans l’imposition et la conscription obligatoires, comme la république… C’est la troisième phase, une forme de séparation entre les bras et la tête. La pacification violente a échoué. Le général républicain Hoche tente de calmer l’ouest en tolérant les anciens prêtres qui se désolidarisent très vite d’un combat dont ils n’ont d’ailleurs jamais ni tenu les rênes ni approuvé toutes les formes… Les royalistes changent de tactique, épousant la légalité, via les élections, pour mieux en détourner les principes. La pacification par la sape des ses fondements moraux avance bien mais le coup d’état du Directoire, en 1797, qui élimine les élus royalistes ravive la chouannerie militaire… Pour un temps seulement… Bonaparte prend le pouvoir en 1799. Il semble comprendre la clef du phénomène. Il diffère la conscription dans l’ouest et le concordat de 1801 assure le triomphe des prêtres réfractaires avec la paix religieuse… La légitimité des Bourbons s’effrite face à ses victoires. Les plus acharnés des chouans, comme Cadoudal, doivent changer de mode de lutte : une minorité qui s’adonne à l’attentat.


Une vraie question : qu’y a-t-il dans le cœur du taiseux ?


Après les explications « économiques » des thèses comme celle de Paul Bois sur les paysans de l’ouest dans les années soixante, semblant exagérer l’opposition ville-campagne (les bourgeois remplaçant les nobles avec la morgue des nouveaux riches) et assimilant les chouans aux paysans aisés de façon abusive, l’historiographie moderne s’oriente (enfin ?) vers la question cruciale : « il a quoi dans la caboche le paysan de l’ouest ? ». La réponse est mal aisée car les sources sont maigres même si le silence ne signifie pas le rien, on va chercher les réponses aussi dans les chansons bretonnes. Roger Dupuy rappelle le bon accueil fait à la Révolution par ces paysans qui explosent quatre ans plus tard. Les cahiers de doléances expriment le refus des abus de l’ancien régime. Il précise que ce phénomène a été négligé par les deux traditions, tant républicaine que royaliste. Il apparaît que les deux traditions ont surestimé le degré de soumission des populations. Il esquisse la forme contractuelle, et non inconditionnelle, de l’attachement du paysan à l’autorité traditionnelle, c’est sans doute le sens du slogan « vive le roi quand même ! » abondamment utilisé par les révoltés. Le noble et, plus haut, le roi, protègent, alors que le prêtre rassemble ; qu’aucun ne déroge, sinon... Roger Dupuy dresse le portrait d’une société qui se sait fragile, croit l’individu isolé voué au malheur et manifeste un grand scepticisme à l’égard de l’Etat-Nation censé supplanter la solidarité de la communauté villageoise.


Un style… 

A suivre et à lire ! On peut simplement déplorer le style de cette synthèse passionnante. L’auteur, par enthousiasme, sans doute, a la virgule comme ennemie personnelle. On respire peu dans son texte qui, par surcroît, a souvent l’aridité d’un Diafoirus (sécheresse stylistique de la démarche scientifique ?) ! Epiphénomène, assurément, par rapport à l’intérêt du contenu, dû aussi au choix judicieux des documents cités.


Didier Paineau 

Roger Dupuy, Les Chouans, Hachette littérature, "Pluriel", novembre 2008, 287 pages, notes, cartes, chronologie, sommaire, bibliographie, hélas pas d'index, 8,50 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.