La Chute, ou l'Empire de la solitude, Napoléon 1807-1814

De l’angoisse de l’angle de vue…

Encore un ouvrage sur Napoléon… A  se demander parfois si Jésus ne va prendre ombrage d’avoir un tel challenger. Tout a été dit sur l’empereur, alors on peut être séduit par les variantes de la liturgie. 

La politique, une gêne en littérature ?

Dominique de Villepin est connu pour quoi, au fait ? Ah oui, il a été premier ministre ! Je me souviens que les ragots journalistiques le brossaient, l’étrillaient plutôt, comme un envieux mesquin d’une vulgarité sans bornes… Peut-être un romantique égaré ? En tout état de cause nulle trace de cela dans sa messe napoléonienne. Aujourd’hui, avocat et toujours poète à ses heures, il a pris un autre chemin. Gageons que personne ou presque n’a échappé à son ouvrage sur les Cent Jours qui a reçu le Grand Prix de la Fondation Napoléon et le Prix des ambassadeurs. On pouvait penser, par un préjugé invincible, qu’il s’agissait d’une flagornerie aux puissants.

Souffle contre souffle

Le récit s’attache au zénith et au déclin de l’empereur. Tout commence par l’entrevue de Tilsit en 1807, entre Alexandre de Russie et Napoléon. La paix est faite et semble solide. L’ouest au Corse et l’est au Russe qui se révèle un fervent admirateur de Napoléon. Tout au plus ne subsiste que l’ambiguïté territoriale polonaise qui renaît de ses cendres chaudes pour devenir un état tampon. L’orgueil, premier péché capital, fait alors déraper Napoléon qui se croit tout permis. Méprisant les Espagnols, se voulant héritier de Louis XIV, l’Aigle dépossède la pauvre famille des Bourbons de son trône (1808) ; mais il le fait comme un vautour, par le mensonge… L’impact de cette erreur est considérable. Hémorragie d’hommes (400 000 morts), d’argent (la guerre ne nourrit plus la guerre), de prestige ( !). Napoléon, le sauveur, devient l’ogre. Son autorité devient de l’autoritarisme, le sauveur de la Révolution devient le placier avide de sa propre famille. L’Europe relève la tête en apprenant le désastre de Baylen où 17000 soldats français capitulent devant la pitoyable armée espagnole. Elle apprend le levier redoutable du patriotisme et redécouvre celui, non moins considérable, de la religion. L’Anglais Wellington vient expérimenter ses techniques militaires dans la péninsule, toutes pragmatiques, sur des généraux français dégénérés en satrapes âpres et querelleurs. Il n’y a pas de tête française en Espagne, il n’y a que des serres ; à l’exception de Suchet.

Le reniement ?

L’odeur de la peur précède celle du sang. L’Autriche relève la tête trop tôt. Elle le paye par la défaite de Wagram en 1809. Mais presque au même endroit, Wagram n’est pas Austerlitz. C’est une victoire, certes… Elle est fastidieuse, et coûteuse. Napoléon compense par le nombre et la « dépense », la moindre qualité de ses troupes. On ne sait plus manœuvrer, eh bien « serrez les rangs ! ». La chair se compacte pour avoir l’illusion d’être aussi forte que le fer. Le vinaigre est tiré en Autriche, il faut le boire.    

Dominique de Villepin qualifie de reniement le mariage autrichien de Napoléon en 1810. L’empereur ressemble à un petit noble corse empressé  de mettre une Habsbourg dans son lit. Foin de la Grande Révolution, il apparaît comme un arriviste. Marie Louise en savonnette à vilain ! Pendant ce temps la, l’alliance russe achève son tranquille pourrissement, gangrénée par l’affaire polonaise tout autant que par l’immobilisme russe de 1809 ou le mariage habsbourg. La bipolarité engendre le conflit, en politique comme en diplomatie, assène l’ancien premier ministre.

Les marches de l’enfer

La lanterne qui veille « parmi les ruines » de ce monde passe-t-elle des mains de Napoléon à celles d’Alexandre. Ce dernier le croit, il se veut « éclairé » et  soucieux de progrès. Un million de Français sous les armes, qui les arrêteraient ? Napoléon veut. Il rameute  toutes les forces de son imagination au secours de sa volonté. Caulaincourt affirme qu’il y a là le secret de sa force et celui de sa faiblesse. L’empereur ne voit pas la duplicité de ses alliances forcées, autrichienne et prussienne ? Peut-être la méprise-t-il ? Alexandre annonce sa détermination et les atouts de son espace pour vaincre l’impatience de l’Aigle. Napoléon est sourd, à défaut d’être sûr, malgré la force de sa volonté. Il écrivait : « quand on veut fortement, constamment, on réussit toujours » ; hélas, non. On peut se ramasser le râteau- comme disait un « élégant » docteur- ou la pelle, le 18 juin… Nous n’en sommes pas là. Une chute de cheval devant le Niémen fait pâlir le Corse superstitieux, mais il faut y aller. Le torrent de Babel, une armée immense où les Français sont minoritaires, se répand sur la Sainte Russie, molle avant d’être froide et couperet. Moscou incendié par Rostopchine, son maire,  puis la retraite, trop tard, car Napoléon tergiverse autant qu’Alexandre le fait lanterner. Neuf hommes sur dix sont livrés à la digestion du froid qui est coupante, puis bleue, puis noire, 500 000 morts ou prisonniers (ce qui revient au même puisque le Français à torturer puis tuer est à deux roubles pièce au marché du paysan du coin). Et napoléon repart à Paris où un histrion,  le général Malet, dans un coup d’état manqué, a failli tuer l’empire comme on peut souffler les bougies d’anniversaire d’un gosse de huit ans… L’Europe apprend ; là où Napoléon n’est pas, l’Empire est une illusion…     

Dominique de Villepin nous conte avec talent 1813, puis 1814… Napoléon perd l’Allemagne et se fait le chantre de la tradition quand le tsar fédère au nom de la liberté des nations… Nous sommes en 1814 et la France tombe. Napoléon abdique à Fontainebleau, abandonné par les satrapes qu’il a engraissés.

Pourquoi Villepin ?    

Parce qu’il aime ? Raison insuffisante, sans doute. Dominique de Villepin se nourrit aux meilleures sources, des historiens reconnus comme Jean Tulard et des témoins aussi prestigieux que Lamartine, Chateaubriand, Caulaincourt, Bourgogne… Dans le désordre de ma mémoire qui n’a pas besoin de défendre un ouvrage enchanté. Quoi de nouveau encore ? L e point de vue d’un homme de pouvoir qui n’a pas l’air, malgré ses interventions médiatiques minimalistes, d’être le dernier des idiots… Sa conclusion peut apparaître compassée ou grandiloquente mais donne à réfléchir, et à aimer. La réalité s’abîme dans les angles de vue possibles et tout aussi légitimes les uns que les autres.

Didier Paineau 

Dominique de Villepin, La Chute, Perrin, août 2008, 520 pages, chronologie, index, 24,80 euros

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