Philippe Bourdrel revient sur "L'Epuration sauvage"

Curieuse chose que l’Historien, qui vient toujours quand c’est trop tard…

Longtemps la vision idéale de la Libération de la France en 1944 a dû être nécessaire. Il y avait deux camps, le gentil et le méchant et le gentil a gagné, « en avant toute » !
 
La réalité des événements a été cachée, occultée même, tant par les victimes que par les agresseurs. Philippe Bourdrel paraît en poche. Le livre a été retravaillé et actualisé puisqu’il avait paru en deux volumes en 1988 et 1991. S’il y a peu de chance qu’on dise « le Bourdrel » comme on dit « le Mourre », un jour, tant son contenu ne se relit pas facilement, on peut et on doit lire ces lignes sur l’histoire de notre pays. Philippe Bourdrel aura consacré l’expression d’ « épuration sauvage ».

La guerre des deux France

L’auteur nous rappelle qu’on a sans doute minimisé l’état de guerre civile qui règne en France pendant la guerre et qui plonge ses racines dans le Front Populaire, je hasarderais l’affaire Dreyfus, voire plus haut dans le temps, quant à moi. La défaite est perçue comme une aubaine par les vaincus d’une certaine tradition de droite toujours patriote, parfois catholique. Ils étaient Cassandre, personne ne peut leur nier qu’ils ont eu raison puisque  « la défaite est là ! », peuvent-ils dire, et justifier ainsi la violence pour le redressement du pays. Face à eux, le messianisme communiste est le plus farouche. Les marches de l’horreur se descendent une à une, puis de plus en plus vite.

« T’as tué Paul, je tuerai Jacques ! »

 La première marche, en tout cas la plus connue, est l’assassinat dans un attentat à la bombe, de l’ancien ministre socialiste Marx Dormoy, le 25 juillet 1941. Il est attribué à des membres du PPF de Doriot (profitons-en au passage pour prévenir que la lecture de ce livre nécessite une bonne culture générale sur la période). Le Vichy du maréchal Pétain désapprouve fermement ce genre de pratique, car il entend garder le contrôle, désire garder une altérité indispensable à l’idée de revanche que caresse une bonne partie de ses membres. Le régime du maréchal n’est pas (pas encore ?) celui de la pauvre fille subjuguée par son violeur.
 
Le Parti Communiste, interdit depuis le pacte germano-soviétique de 1939, critique à l’égard de De Gaulle et des Anglais, qui a demandé aux Allemands l’autorisation de faire reparaître l’Humanité, se lance dans la Résistance dès que l’URSS est attaquée par Hitler en juin 1941. L’une des ses premières actions est l’assassinat d’un officier allemand par le futur colonel Fabien, le 21 août 1941. Ainsi s’enclenche la danse macabre de l’attentat et de sa répression aveugle, dont l’utilité militaire est nulle, mais dont le calcul politique fait froid dans le dos : générer la haine et le point de non-retour.

Pétain veut offrir sa vie en échange de celle des otages, De Gaulle ne voit pas l’utilité des attentats, les hommes de Vichy font de sinistres négociations avec les Allemands en essayant d’offrir à ces derniers des otages communistes. Le PC  n’attend pas pour régler ses comptes. Les membres du PPF et d’autres mouvements de la Collaboration sont exécutés. Une des origines de la Milice de Darnand est là. Et lentement, la litanie des assassinats, qui n’épargne ni les femmes ni les enfants, se murmure puis se crie.

La radicalisation se manifeste aussi en Afrique du Nord, à partir du moment où de Gaulle a tué Giraud politiquement. C’est le « cas Pucheu », qui tente de passer de Pétain à De Gaulle, dont on ne peut soupçonner ni le patriotisme, ni une certaine forme de naïveté, et qui se fait fusiller, malgré son ralliement. De Gaulle a trop besoin des communistes ? 

Le tour de France de la barbarie

Philippe Bourdrel nous brosse, chapitre après chapitre, un tour de France des atrocités, qui arrivent quand l’ordre ancien est parti, et, que l’ordre nouveau ne s’est pas encore imposé.

Les arrestations arbitraires s’accompagnent de tortures. Il est quasiment impossible de distinguer vrais et faux résistants, simplement on peut noter dans le sud-est la multiplication par trois du nombre de ces derniers après la Libération. Je ne sais plus lequel d’entre eux pique le soutien-gorge de sa femme car on manque de bandes blanches pour les capitaines et colonels qui fleurissent en pagaille dans la pagaille.

On peut esquisser des portraits type, c’est toujours Paul C. ou Alfred F. mais ce CQFD est effrayant car on sent à quel point on n’a que le sommet de l’iceberg. On trouve le vrai criminel qui se pare des vertus patriotiques pour piller, tuer en toute impunité. L’un d’entre eux, un certain Le Coz sera éliminé par Michel Debré, commissaire de la République, en Anjou. C’est  un cas isolé, la plupart n’ont même pas besoin de passer à travers les mailles d’un filet qui n’est pas tendu ! Il y a le commandant Coco, garçon de café pochetron, qui fait la pluie et le mauvais temps dans une prison de Marseille, avec le « nègre P » qui passe son temps à torturer ceux qu’ on lui confie. Il y a Irène Q. qui fait oublier son passé de collabo auprès de la Gestapo en devenant une acharnée de la « justice populaire ». Les malheurs des temps représentent un sacré business ; après avoir dépouillé ou vendu le Juif, le bourgeois fait aussi bien l’affaire pour Irène. 

On pille, on viole, on coupe les seins, on imprime des croix gammées au fer rouge sur les visages, on tond, on force à courir jusqu’à la mort, on frappe et refrappe. On peut être arrêté, blanchi, libéré puis liquidé par on ne sait qui un peu plus tard. Le fameux Veld’hiv fait une seconde carrière. Selon les régions, les autorités du général mettront jusqu’à six mois à reprendre la situation en main. 

Malheur à qui fait envie. On peut être accablé d’être trop prospère comme les céramistes d’art Pugi à Marseille, d’avoir l’esprit trop indépendant, d’avoir déplu à sa concierge… Certains comme Gaston D. se font une fortune et s’enracinent dans les arcanes du pouvoir. On liquide les ennemis politiques, même parfois ceux qui ont un passé résistant immaculé… Le PC balance, au bord de la Révolution. 10 000 à 15 000 morts, plus ceux qui sont morts des suites des sévices endurés…

Voila une enquête qui laisse écœuré et songeur. Tout cela si près de nous, tout cela si longtemps passé sous silence. Les monstres sont parmi nous comme ce paisible directeur d’école de Marseille qui mit telle petite ville sous coupe réglée pendant des mois. Passant, prie le seigneur pour que nos supermarchés soient pleins le plus longtemps possible…


Didier Paineau


Philippe Bourdrel, L'Epuration sauvage, Perrin, « Tempus », septembre 2008 (1re édition 2002), 695 pages, 12 € 


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