Biographie de "L'Impératrice Joséphine", un de ces personnages dont on croit tout savoir mais dont on ne connaît souvent que des ragots

Une biographie, détaillée mais sans ennui, à la frontière de la littérature et de l'Histoire, sur un de ces personnages dont on croit tout savoir mais dont on ne connaît souvent que des ragots.
 
De mademoiselle à Madame

Joséphine Tascher de la Pagerie est née à la Martinique en 1763 dans une de ces familles îliennes, anciennes et turbulentes qui font le sel de la Vieille France. Son enfance ayant été convenue et, somme toute heureuse, l'auteur nous entraîne avec délice dans les arcanes de la société créole. Elle reçoit une éducation soignée dans une de ces écoles qui s’inspirent du Saint-Cyr de Madame de Maintenon. Le grand œuvre social d’une femme de cette société est le mariage, bientôt accompli, en 1779, avec quelqu’un du même monde : Alexandre de Beauharnais.

« Monsieur de Frénésie »       

Hélas le mariage qui se solde par deux essais transformés (Eugène et Hortense) n’est pas de tout repos. Alexandre mérite bien le surnom qu’on lui attribuera à la cour de Louis XVIII. Il dévore la vie par tous les bouts, aventures guerrières et galantes… Mais en ces dernières, il manque d’élégance. On est libre de soi mais on doit respecter les convenances dans les sociétés aristocratiques d’alors, ce n’est pas une question d’hypocrisie mais de savoir vivre. Or Alexandre bafoue son épouse jusqu’à ce qu’une séparation salutaire vienne tempérer la situation (1785). La Révolution donne à Alexandre le bois nécessaire à sa brûlante nature. Il appartient à cette catégorie de nobles « éclairés » qui encouragent les réformes. Orateur brillant, il s’impose comme une véritable personnalité au point de présider l’Assemblée Constituante en 1791. Il est repris par son vieux rêve militaire mais il s’y révèle plutôt médiocre. Refusant le poste de ministre de la Guerre en 1793, il démissionne peu après et se retire. Mais nous sommes en pleine Terreur, et, le louche ramassis des hommes qui président aux destinées du pays, a la haine vorace et le soupçon infini. On l’arrête et le guillotine en 1794. Joséphine qui est pourtant séparée de lui, ne fait pas de politique et essaye tant bien que mal de survivre avec l’aide d’amis qui savent compter (ce qu’elle ne sait pas faire par sens artistique prononcé), est arrêtée et incarcérée aux Carmes. Cette épreuve est épouvantable pour elle (elle en aurait fait une ménopause prématurée) mais la chute de Robespierre vient opportunément l’arracher à un sort funeste.

« La femme écarlate de la Bible »

Françoise Wagener perçoit, voire même éprouve profondément, la fibre aristocratique de son héroïne et nous la fait ressentir avec un talent hors du commun. Elle attaque de façon percutante tous les ragots qui se sont accumulé sur Joséphine, étrillant à la fois l’absence de mansuétude dont est toujours victime une femme en vue et l’anachronisme d’une morale bourgeoise « guigne-au-trou » et hypocrite. L’auteur ne se met pas à compter les liaisons de  « son » héroïne, d’abord parce qu’elles sont peu factuelles, Joséphine est bien élevée, et ensuite… Résument-elles à ce point la vie d’une personne ? Il y a bien Hoche, il y a bien Charles, un obscur et qui le restera, qui permet à Joséphine de rire un peu au milieu de la tempête Napoléon qu’elle épouse en 1796. Authentique mariage d’amour, du feu et de l’eau, de l’énergie et de la grâce, caricatures involontaires des caractéristiques extrêmes de leurs sexes…

Une bonne étoile chez les rapaces

L’harmonie du couple est un idéal difficile à atteindre, tant Napoléon préfigure le XIXe siècle, ordonné et convenu, et tant Joséphine est l’ornement du sien, à la fois fidèle et volage, laissant l’explication du paradoxe à qui veut être chagrin. L’attachement des deux êtres est profond et a un côté féminin et magique que l’auteur n’escamote pas : Napoléon garde sa chance autant qu’il garde son impératrice. Cette dernière n’est pas seulement un ornement, elle a le talent diplomatique, elle arrondit souvent les angles que son diable de mari laisse dans le sillon de sa hache. D’emblée, elle est détestée par la fratrie Bonaparte, avide à en écoeurer un lecteur habitué à escroquer la Sécurité Sociale ! On veut sa peau et on ne fait que renforcer sa position. La fidélité des trois Beauharnais fait pièce aux caprices des Bonaparte qui ne sont d’aucun soutien à leur frère. Même quand il s’agit de se retirer pour des questions politiques, de laisser la place à la chair molle d’une Autrichienne féconde, il n’y a aucune récrimination (1809). Joséphine se retire à la Malmaison et continue à entretenir amour et attention envers son Napoléon qui entame sa lente descente aux enfers. Ce dernier continue à la doter généreusement, ce qui lui permet d’engloutir des sommes gigantesques dans des collections de botanique ou d’animaux exotiques aussi réputées qu’éphémères. 

En 1814, en pleine débandade française, alors que Napoléon sent déjà l’île d’Elbe, elle rend son âme à Dieu, le 29 mai. Avec le « choix de cette date », on ne peut que saluer son tact et son sens de l’à-propos, comme le fait du bout des lèvres Françoise Wagener. 

Un maître livre

L’Empire, voilà une épopée masculine, pleine de coups de canon et de manœuvres dont l’habileté laisse froide la moitié de l’humanité. Eh bien l’ouvrage a une dimension supérieure à une simple biographie. Il laisse l’impression de faire une histoire de Napoléon au féminin, tout en nous brossant le portrait d’une femme remarquable dont on comprend qu’on puisse être amoureux. Le style est éblouissant de grâce et de justesse. Il sait passionner dans la sécheresse de l’érudition la plus pointue. On ne saurait rendre compte avec justice du souci documentaire de l’ouvrage tant il est aigu. L’auteur est victime de son talent, on se demande si Joséphine était vraiment aussi étonnante que cela ou si, et c’est assez rare pour être pudiquement souligné, Françoise Wagener n’est pas une personne indispensable à connaître. 
  
Didier Paineau


Françoise Wagener, L'Impératrice Joséphine, Perrin, 2005 (ed originale Flammarion, 1999), "Tempus", chronologie, éléments biographiques, index des noms, 501 pages, 10 € 

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