Joël Schmidt raconte "Lutèce, Paris, des origines à Clovis"

Joël Schmidt est né en 1937. Il a été élevé dans la HSP (haute société protestante). Autant dire qu’il a baigné dans la culture et rencontré très tôt des esprits remarquables comme Paul Valéry, François Mauriac ou Roger Martin du Gard… C’est un Historien comme on les aime, doté d’une plume qui donne des ailes. Il s’est spécialisé dans l’Antiquité.

L’ouvrage présenté aujourd’hui nous conte l’histoire de Lutèce pour comprendre Paris. J’aime son style qui sait allier la rêverie poétique et les informations les plus sérieuses. Un exemple ? Joël Schmidt sait nous faire rêver et réfléchir, par induction, sur l’immense ignorance que nous avons de la Préhistoire, donc de l’Histoire avant l’écriture (en tout cas en Gaule), en mentionnant simplement la découverte d’un objet étrusque… Un long poème épique…

Les Parisiens

Des inconnus, des Sénons se succèdent sur le site. Des drames inconnus : pourquoi tant de bronze et si peu  de fer ? En 250 avant J.C. les Parisii s’installent dans les lieux de la future capitale. Une partie d’entre eux va s’installer dans la région de l’actuelle York en Angleterre. Ce sont des Celtes qui viennent des régions danubiennes. L’auteur met à profit toutes les découvertes archéologiques pour nous présenter le portrait du Parisien. Il patrouille avec son char jusqu’à l’Oise quand les Belges, ses voisins du nord, ne l’utilisent pas… Après l’invasion des Cimbres et des Teutons, repoussée par Marius (102 av J.C.) dans les terres romaines au sud de la Gaule, les Parisiens se libèrent de la tutelle des Sénons et forment une cité respectée et indépendante comme l’atteste ses émissions de monnaie.

La conquête romaine

César entre en Gaule en  58 av J.C. Les Parisiens, pragmatiques et souples, manifestent tout d’abord une neutralité bienveillante, malgré la dégradation de leur situation économique. Les Légions passent sous les murs de l’oppidum de l’île de la Cité en direction de la Bretagne… Les Parisiens se joignent néanmoins à la révolte de Vercingétorix et se préparent à la résistance avec leur chef Camulogène. Pendant que César affronte Vercingétorix, se faisant étriller à Gergovie, Labienus attaque Lutèce avec deux légions. Camulogène évacue son oppidum. La  bataille a lieu sur notre Champ-de-Mars actuel. Les Gaulois sont battus, Camulogène meurt, héroïque vieillard qui n’a droit qu’à une impasse dans le XVe arrondissement. 

Les Parisiens sont encore capables, malgré tout, d’envoyer 8000 hommes au secours de Vercingétorix à Alésia. C’est la catastrophe. Bien peu regagnent leur cité dévastée qui renaît de ses cendres grâce aux réfugiés des régions alentour et à l’adoucissement de César, qui entend bien utiliser le levier gaulois pour prendre Rome. 

La prospérité gallo-romaine

Bientôt reliée au réseau routier romain, Lutèce en tire vite un bénéfice économique. Lutèce était le fournisseur de bois de la Gaule au temps de l’indépendance, elle devient première pour la pierre… Certes, Lyon reste la capitale. La corporation des bateliers (les nautes) domine politiquement et économiquement Lutèce au début de l’ère chrétienne, comme en témoigne un pilier trouvé sous Notre-Dame, mais qui était sur le Mont Sainte-Geneviève, et dont l’interprétation est toujours sujette à controverse. Daté du règne de Tibère, il s’élevait alors sur le forum de la cité. S’y mêlent des preuves de permanence culturelle gauloise et de romanisation. Tibère remercie les nautes de leur soutien logistique lors des expéditions en Germanie.

La ville se romanise quand la campagne reste plus gauloise. Elle s’étoffe de pierre, d’un forum vers la rue Saint-Jacques. Les plus pauvres commencent à se fixer sur la rive droite, réputée insalubre à cause des marais. Lutèce se couvre de monuments mais son prestige est freiné par les ravages que provoquent les Germains lors de leur combat contre Marc Aurèle dés 167. 

Paix et guerre

Flux et reflux, la prospérité revient. L’auteur cite longuement Sidoine Apollinaire pour les courses de chars dans le cirque. L’archéologie lui permet de brosser le portrait d’une vie quotidienne qui est si semblable à la nôtre, sans l’électricité. Au IIIe s les nuages s’amoncèlent. L’Etat devient petit protecteur et pressureur fiscal. Denys est martyrisé (origine de Montmartre et de Saint Denis). En 267 les Alamans (déjà…) fondent sur Lutèce et la pillent, alors que les habitants se réfugient sur  l’île. Face à l’impuissance de l’Etat, Lutèce se fortifie et les bagaudes (révoltes paysannes) se forment. Les Parisiens les soutiennent et leur donnent leurs premiers chefs. La cité ruinée se déplace sur la rive gauche et s’éloigne psychologiquement de Rome. Au Ive siècle il y a un répit. Lutèce devient, pour une grande part, une ville de garnison et se couvre d’églises. Au milieu du IVe siècle, Julien est proclamé empereur à Lutèce et s’y établit durablement, dans son palais de l’île de la Cité, sans cesse occupé à contenir les invasions.
    
Au Ve siècle, les empereurs délaissent Lutèce. Le nord de la Gaule est alors une sorte de glacis, périodiquement ravagé. Les Lutéciens retournent aux activités de leurs ancêtres. La ville se replie sur elle-même. Un anonyme, Vitalis, dans une épitaphe, pleure sa femme Barbara morte à 23ans et les saints comme Saint Marcel  marquent les lieux. Sainte Geneviève  détourne Attila de la cité. En 476, l’empire d’occident disparaît. Syagrius maintient l’illusion romaine à Lutèce, trop d’intelligence et pas assez de force, dix ans encore. Les Francs prennent la cité. Peu à peu la ville change de nom, peut-être parce qu’elle sert de refuge à tout le peuple des antiques Parisii…
    
On peine à laisser ce livre tant l’auteur a pris souci à l’humaniser d’anecdotes, tant il a laissé les anciens s’exprimer, comme on le voit peu aujourd’hui… A ne pas laisser passer.


Didier Paineau


Joël Schmidt, Lutèce, Paris, des origines à Clovis, Perrin, ,« Tempus », novembre 2009, 340 pages, 10 € 

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