Charles Camoin, les couleurs libérées

La couleur surtout et peut-être plus encore que le dessin, est une libération. Ces mots sont de Matisse qui est alors avec Albert Marquet et Henri Manguin un des amis les plus proches de Camoin. Le lien est évident et s’impose de lui-même car Camoin dira un jour qu’en tant que coloriste, j’ai été et je suis encore un fauve en liberté.
Rompant plus particulièrement avec les principes impressionnistes, les peintres fauves se veulent d’abord indépendants de la tradition et novateurs. Ils donnent la primauté à la sensation, ils entendent faire rugir les couleurs et leur rendre intensité et éclat naturel, ils décident de charger les tons d’une puissance permettant d’assurer la perspective sans recourir aux contraintes classiques et de simplifier le réel tout en lui gardant sa force visuelle. La touche est chargée, lourde parfois de pigments jusqu’à la saturation, la couleur est utilisée pure et posée en aplat, contrastant ainsi sur la toile avec les couleurs voisines, sans l’interposition des dégradés de nuances qui les adouciraient.

En participant au Salon d’Automne de 1905 qui lance le fauvisme, Camoin intègre d’emblée le mouvement initié avant tout par Matisse mais aussi Derain et Vlaminck et auquel se rattacheront entre autres Dufy, Braque, Delaunay, Othon Friesz, Rouault, Van Dongen, Valtat et bien sûr Marquet et Manguin.
Point significatif, cette liberté revendiquée par Camoin lui permettra, à l’inverse de celles de ses amis, y compris Cézanne, de faire apprécier très vite ses toiles par les peintres allemands expressionnistes que sont Kirchner, Macke ou encore Franz Marc, tout autant soucieux que lui de s’éloigner de l’académisme et épris de visions susceptibles de provoquer des réactions chez le spectateur. Dès 1907, ses peintures ont été exposées et commentées dans les expositions d’art moderne de Berlin, Francfort, Cologne ou Munich. Le public les salua.

Camoin, davantage que ses compagnons de l’école des Beaux-arts de Paris où Gustave Moreau les a reçus dans son atelier et leur a conseillé de descendre dans la rue pour peindre la vie, va constamment user au long de sa carrière d’une palette lumineuse et chaude venue de ses premiers regards portés sur la Méditerranée. Il démontre l’amplitude de ses talents et la souveraineté de son style en passant aisément du portrait au paysage, de celui-ci au nu, du nu aux décors urbains ou agrestes et adopte avec une égale maîtrise l’huile, l’aquarelle, le pastel, le crayon et l’encre.
Ayant longtemps copié les anciens maîtres au Louvre, il n’en mesure pas moins le plaisir venu de l’exaltation de ses coloris qu’il accentue de cernes sombres ou noirs afin de rehausser les oppositions comme par exemple pour les vues qu’il exécute en Corse. Chacun de ses tableaux semble recueillir ses sentiments, ses impressions, une sensibilité avouée et directement éprouvée devant le motif. 
À nouveau, Camoin rejoint Matisse qui estimait que le but premier de la couleur doit être de faciliter l’expression autant que possible, c’est à dire la traduire au plus près. Alliant la modestie à des convictions affichées, Camoin écrira : L’art est un témoignage mais aussi une invention. C’est la façon dont j’aurais vu la vie à travers les lois de la peinture (12 juin 1943) et plus tard, en janvier 1955 : Je continue ma petite « évolution » en travaillant tous les jours dans mon atelier et sans éprouver le besoin de le crier sur les toits.

Dans le parcours de Charles Camoin (1879-1965) tel qu’il est retracé dans cet ouvrage accompagnant l’exposition qui s’est ouverte au musée de Montmartre et comptant une centaine de toiles et dessins, le lecteur suit avec un grand intérêt l’évolution d’un artiste certes résolument installé dans l’avant-garde esthétique de son époque mais qui ne perd jamais de vue le legs du passé, ce qui lui confère comme un équilibre propre, personnel, lui suggérant des audaces que tempère son goût pour l’inaltérabilité de la beauté.
C’est ainsi que lors de son voyage aux États-Unis en 1961, après une exposition saluée à Chicago sur les peintres français contemporains où une large audience avait découvert son nom, visitant le Metropolitan Museum de New York, il réalise avec passion des croquis des tableaux de Goya, Rembrandt, Greco ou Titien.

Célèbre en son temps pour repérer et promouvoir les jeunes talents, Berthe Weill qui vendit la première des œuvres de Picasso à Paris exposa dès le début Camoin et lui servit de tremplin. Un chapitre tout à fait passionnant lui est consacré dans ce livre. De même le lecteur peut-il lire avec un identique entrain celui qui relate l’affaire des toiles coupées, dont trois sont présentées dans l’exposition.
Enfin, l’attachement de l’artiste à la Butte, où il eut un de ses ateliers, sert de fil à ce texte comme à l’exposition. 

Dominique Vergnon

Assia Quesnel, Saskia Ooms et Claudine Grammont, (sous la direction de), Charles Camoin, un fauve en liberté, 100 illustrations, 190 x 265, co-édition musée de Montmartre-InFine éditions d’Art, mars 2022, 176 p.-, 25 €

www.museedemontmartre.fr; jusqu’au 11 septembre 2022

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