Le "Théâtre, tome I & II" de Paul Claudel dans la Pléiade : le lire comme une expérimentation singulière

Le Théâtre de Paul Claudel a déjà connu trois éditions au sein de la Pléiade. La première le fut du vivant de l’auteur, en 1948. Cette nouvelle édition diffère cependant des précédentes. En effet, elle a systématiquement tenu compte des manuscrits accessibles. Sans se priver des éditions successives de chacune des pièces. Elle s’appuie également sur l’abondant commentaire des œuvres élaboré depuis cinquante ans par des spécialistes du monde entier. Enfin, elle propose un sommaire modifié. 


Ainsi, vous trouverez chaque version à sa date de composition. Et le lecteur de lire - si l’envie lui en prend - successivement les différents états d’un même texte... Figurent également des appendices après chaque pièce. Constitués de documents signés par Claudel. On pourra donc appréhender dans sa globalité toute la genèse de l’œuvre. Et ponctuer cette démarche à l’aide de l’appareil critique très complet. Car le théâtre de Paul Claudel a suscité de très nombreux travaux dont les rédacteurs ont tenu compte.
Mais que cela ne donne pas une image rebutante. Le corpus est déjà assez difficile comme cela. L’œuvre dramatique de Paul Claudel n’est certes pas accessible à tous. L’écriture est difficile. Les sujets compliqués. Claudel a puisé dans sa vie la matière de son drame. Et l’a transposé dans une conversation. Car pour lui elle est un séisme qui ébranle l’être tout entier. Ajouté à cela ce désir de Dieu qui lui donne une saveur particulière dans l’approche de sa passion amoureuse. Et le cocktail se pimente alors...


Pour Paul Claudel, sans ce désir de Dieu - et sans cet amour insatisfait - la création d’un monde nouveau serait impossible. Tous les héros claudéliens sont de grandioses ou de petits bâtisseurs d’univers.
Seul le catholicisme peut justifier cette capacité du drame à ordonner et finaliser la réalité. Comme Péguy, Claudel rejette le catholicisme de classe. Il ne veut pas de cette frange qui édifie une église morale et bien-pensante. Au contraire. La pratique de sa foi est populaire, guerrière et héroïque.
Une énergie qu’il va jeter sur la scène dès les premiers drames. Dans le fascinant Tête d’Or, une épopée guerrière dont le héros, avide de bonheur, part en quête d’un objet aussi absolu que mystérieux. Avant de trouver dans l’humilité de la mort, le sens de l’amour. 


Mais le héros claudien n’est pas toujours fidèle au message christique. L’horizontalité terrestre a encore de beaux jours devant elle. Un déchirement qui peut prendre plusieurs formes : contradiction, refus, séparation, usurpation, injustice. Fort de cette eschatologie, ce théâtre célèbre allègrement les événements les plus catastrophiques. Le pouvoir, la propriété, la jouissance...
Le théâtre de Claudel n’est donc pas cette unité que semblent lui donner ces quelques remarques. Il faut le lire comme une expérimentation singulière.


Claudel s’impose : c’est un théâtre où l’âme parle. Où les fins de l’action humaine sont impitoyablement questionnées. Où l’ordre de la nature n’est rien s’il n’est pas atteint par l’ordre de la Grâce. Il n’est alors question que du bonheur de l’homme et de sa rédemption. Claudel a su déplacer les bornes du drame. Tout se mêle donc, la Bible et le cirque, Hélène et la marionnette, les paysans du Tardenois et le masque de Nô.
Claudel traverse cet élan qui ne s’épuise qu’au moment de la mort : plus d’un demi-siècle de théâtre pour offrir en cet ultime sacrifice de l’acteur tout ce que l’humanité recèle comme surprises. Bonnes ou mauvaises...


NB
On signalera en parallèle la sortie chez Folio de L’Echange.


Le tome I contient :
Introduction, chronologie - Note sur la présente édition
L’Endormie
Fragment d’un drame
Tête d’Or
(1889)
La Ville
(1890-1891)
La Jeune Fille Violaine (1892)
Tête d’Or (1894)
Agamemnon
L’Echange
(1893-1894)
Le Repos du septième jour
La Ville
(1894-1898
La Jeune Fille Violaine (1899)
Partage de Midi (1905-1906)
L’Otage
L’Annonce faite à Marie
(1910-1911)
Protée
Les Choéphores

Autour du théâtre de Paul Claudel : textes et documents
Notices, notes et variantes

Le tome II contient :
Chronologie, avertissementLe Pain dur
La Nuit de Noël 1914
Les Euménides
Le Père humilié
L’Ours et la Lune
L’Homme et son désir
Le Soulier de satin
La Femme et son ombre
La Parabole du Festin
Le Peuple des hommes cassés
Sous le rempart d’Athènes
Le Livre de Christophe Colomb
La Sagesse ou la Parabole du Festin
Jeanne d’Arc au bûcher
Le Jet de pierre
La Danse des morts
L’Histoire de Tobie et de Sara
Au quatrième toc il sera exactement...
La Lune à la recherche d’elle-même
L’Annonce faite à Marie
(1948)
Partage de Midi
(1949)
Tête d’Or
(1949)
Le Ravissement de Scapin
L’Echange (1951-1952)
Le Chemin de Croix n°2

Autour du théâtre de Paul Claudel : textes et documents
Notices, notes et variantes
Bibliographie générale.


Annabelle Hautecontre


Paul Claudel, Théâtre, tome I & II, coll. "Bibliothèque de la Pléiade n°72 & n°73", nouvelle édition publiée sous la direction de Didier Alexandre et de Michel Autraud, volumes reliés pleine peau sous coffret illustré (disponibles en coffret commun), Gallimard, mai 2011, 1776 p. - 65,00 € & 1904 p. - 65,00 € jusqu’au 31 août 2011, puis 72,50 € chaque volume (coffret 130,00 € puis 145,00 €)    

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