Interview. Sylvain Larue : « Le Second Empire est une période très riche en rebondissements »

 

Sylvain Larue a publié aux éditions De Borée dix-huit volumes dans la collection des "Grandes Affaires criminelles". Il s’est lancé dans l'écriture romanesque avec le premier tome de la série des "Enquêtes de Léandre Lafforgue" qui se déroulent dans le Paris de l’après révolution de 1848. Louis-Philippe vient d’être chassé par le peuple qui se prépare à élire son premier président.

— Après dix-huit livres consacrés aux grandes affaires criminelles, d’où vous est venue l’idée, l’envie de composer un roman historique ?

En fait, c’est un projet d’amis. Quand j’ai été publié pour la première fois, voici déjà douze ans, par les éditions De Borée, mon interlocuteur direct, Anthony Frot, est devenu l’un de mes meilleurs amis. Je manque souvent de confiance en moi, et lui a toujours eu foi en mes qualités d’auteur, le style, l’imagination, etc. Voici quelques années, il m’a donc proposé de « passer à la vitesse supérieure » et de commencer un projet de roman, qui permettrait d’utiliser à la fois mes connaissances en histoire et en crimes, mais surtout de faire travailler mon imagination. Son idée m’a plu, alors je me suis lancé.

— Pourquoi le XIXe siècle et plus particulièrement sa seconde moitié ?

Toutes les autres périodes étaient déjà traitées… je plaisante. Le Second Empire est une période très riche en rebondissements, que ce soit en politique, ou dans les évolutions technologiques, et j’en passe. Dépeindre la vie de la France à cette étape charnière de son histoire était aussi intéressant que de raconter l’enquête policière en elle-même, alors, nous sommes vite tombés d’accord sur cette époque.

— Comment avez-vous conçu votre personnage récurrent, Léandre Lafforgue pour qu’il soit aussi saisissant de vérité ?

On s’inspire toujours plus facilement de ce qui nous entoure. Autant ne pas le cacher : Léandre, c’est en partie moi… mais en beaucoup, beaucoup mieux.

— Vous êtes-vous beaucoup documenté avant d’entamer cette série ? À quelles sources ?

Oh oui ! La documentation, c’est ce qui rend le roman plus vivant. J’ai puisé mes informations à deux sources principales : des livres évidemment (j’ai eu droit comme cadeau d’anniversaire au formidable Dictionnaire du Second Empire de Jean Tulard, et je me fais une petite bibliothèque d’étude consacrée uniquement au projet Léandre), mais aussi la presse via Internet, pour des détails en apparence anodins, mais auxquels je tiens… Par exemple, si mes personnages se rendent au théâtre un soir de 1849, je m’applique à chercher quelles pièces ont été jouées ce jour-là et dans quelle salle.

— Quelles sont vos sources d’inspiration pour construire vos intrigues ?

Je ne saurais pas trop le dire avec certitude. Il y a un peu de tout : un lieu visité qui m’inspire une scène, une anecdote historique, un fait divers, une anecdote entendue ici ou là…

— Rédigez-vous un plan à l’avance ou laissez-vous courir vos doigts sur le clavier ?

Il y a des deux : je rédige un plan basique de l’intrigue, et puis je me laisse emporter par mon imagination. Après, je rajoute au plan des éléments nouveaux, nés du chapitre que je suis en train d’écrire, et ainsi de suite.

 

— Êtes-vous un grand lecteur ? Quels sont les livres qui vous ont façonné, fabriqué ? Et quels sont ceux qui vous accompagnent aujourd’hui ?

Je suis un lecteur compulsif, même si je ne consacre pas la totalité de mon temps à la lecture, puisqu’étant cinéphile et musicien. Je dois avouer que je suis quand même un piètre littéraire : je n’aime pas trop les classiques comme Stendhal ou Zola, je préfère les rebondissements, le théâtre, la fiction policière, fantastique… Je suis un bon lecteur de romans de gare, quoi. Les livres qui m’ont façonné ? Attendez que je réfléchisse… Les récits de Pierre Bellemare, qui m’ont donné le goût pour les affaires criminelles. Les Souvenirs d’enfance de Pagnol, que je relis avec ravissement régulièrement… Les enquêtes du commissaire San Antonio, que je dévorais avec passion au lycée…

— Qui trouve-t-on dans votre bibliothèque ?

De tout ! Je me rappelle d’une plaisanterie de ma mère, voici une quinzaine d’années. Elle trouvait curieux de faire cohabiter sur la même étagère la comtesse de Ségur et les écrits de Stéphane Bourgoin. Bon, elle avait tendance à s’inquiéter pour ma santé mentale. Voir son fils de vingt ans écrire tous les jours des faits divers sanguinolents pourrait alarmer bien des mères ! Je manque de place pour mes livres : je pense en posséder au moins mille, peut-être un peu plus. La moitié est donc conservée chez mes parents, en attendant d’avoir un jour un bureau suffisamment vaste pour tous les accueillir… S’il me faut citer mes chouchous, on trouve Club Dumas d’Arturo Perez-Reverte, les écrits de Pierre Desproges, De sang-froid de Truman Capote, les romans de François Cavanna, ceux de Michel Folco, American Psycho de Bret Easton Ellis, Le Nom de la rose d’Umberto Eco, les romans de Martin Winckler, Cyrano de Bergerac que j’adorerais jouer sur scène, ou bien les romans d’une grande amie, Ariane Fornia. 

—Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?

Je ne me suis jamais vraiment posé la question ; j’aime lire depuis la maternelle, et c’est la continuité naturelle, il me semble. Il y a la fois l’envie de laisser une trace derrière soi, de divertir les gens, de leur apprendre des choses, de faire passer un message… Ça doit être un mélange d’un peu tout ça.

—Prenez-vous beaucoup de notes ? Vous astreignez-vous à une régularité ?

Des notes, absolument ! J’ai toujours un carnet sur moi et un joli stylo-plume, cadeau de ma compagne, tous deux violets… Je prends des notes à tout propos : tant pour les romans que pour d’autres idées, telles que chansons, parodies, etc. Par contre, la régularité, ce n’est vraiment pas ma vertu principale. Déjà, je suis un retardataire chronique. Si je travaille tous les jours, c’est sans me fixer d’objectif à atteindre. Il m’arrive de passer treize ou quatorze heures devant mon ordinateur sans regarder spécialement le temps qui passe pour écrire ou faire des recherches…

 

— Quel est votre rapport à la réalité ?

La réalité me terrifie. J’y suis confronté, comme tout un chacun, mais j’ai du mal à supporter une réalité où la sottise – et pire, la sottise doublée de méchanceté – est omniprésente. À mon sens, bien des maux de notre monde proviennent de la bêtise, de l’absence de mémoire, de réflexion, d’introspection et de lucidité, et rien n’est fait pour corriger le tir. Alors, je suis un rêveur, mais un rêveur désabusé ; même si je préfère me plonger dans un bon roman ou dans un film divertissant, une partie de moi reste les pieds sur terre, désespérément fataliste. Autant dire que mes écrits ne se solderont pas toujours par des « happy end ».

— Que vous apporte l’écriture ?

De l’apaisement et du plaisir, sans cesse renouvelés.

— Quelle est et quelle devrait être la place de l’écrivain dans la société actuelle ?

Oh là… Pour vous répondre, il me faudrait quatre heures de réflexion, une copie double, thèse et antithèse… Plus sérieusement, je ne sais pas vraiment. L’écrivain a un statut un peu complexe pour les gens, à ce que j’ai pu constater. Internet, capable du meilleur mais souvent du pire, a sans doute un peu faussé l’image de l’auteur ; certaines personnes pensent qu’on se promène chacun avec, dans nos sacs, une dizaine d’exemplaires de nos ouvrages pour les vendre à qui le demande, et ignorent jusqu’à l’existence des librairies… Le monde actuel a tendance à faire passer la lecture pour une activité vainement chronophage, réservée à une élite, et les livres pour des objets obsolètes. Pourtant, il n’y a qu’à voir un succès comme Harry Potter pour constater à quel point c’est faux. L’écrivain est toujours nécessaire à notre société, même si celle-ci ne le lui rend pas. Mais là encore, je doute que les choses changeront de sitôt. Je vous le disais : je suis fataliste.

— Finalement, à quoi sert la littérature ?

C’est une précieuse façon de communiquer, et le plus merveilleux des passe-temps pour oublier le monde extérieur et s’offrir une évasion sans bouger de chez soi. Mais cela n’est que mon avis.

Propos recueillis par Joseph Vebret (mars 2017)

Sylvain Larue, L'œil du goupil : Une enquête de Léandre Lafforgue, Éditions De Borée, septembre 2016, 408 pages, 22 €

 

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