Interview Cécilia Dutter

1 - Pourquoi avoir choisi ce personnage de Marie-Madeleine et avoir titré votre roman L’Amoureuse alors que vous réfutez la thèse d’une liaison avec Jésus, contrairement à certains historiens qui l’affirment ?

Le personnage de Marie-Madeleine m’a toujours fascinée et bouleversée. Elle symbolise pour moi la Femme avec un grand F, dans son désir de séduction et ses écueils, dans ses tentatives d’émancipation, mais aussi dans l’expérience qu’elle fait de la vraie liberté qui s’affranchit du regard de l’autre et se gagne à l’intérieur de soi.
D’abord courtisane à la cour d’Hérode, elle décide de tourner radicalement le dos à cette vie dissolue après sa rencontre avec Jésus pour le suivre sur les routes de Palestine. 
Une amitié se tisse entre eux. Au contact de cet homme hors norme, l’ancienne quête érotique de la jeune femme se transforme en un amour plus vaste et intense mais purifié. Jésus aime l’humanité tout entière. Cet amour ne saurait être enfermé dans l’exclusivité d’une relation amoureuse. Il ouvre le cœur de Marie-Madeleine à cette dimension universelle de l’amour et la libère du même coup de la course à la séduction dans laquelle elle s’était lancée et qui l’avait longtemps éloignée d’elle-même. Marie-Madeleine est l’amoureuse par excellence : amoureuse des hommes dans la première partie de son existence, amoureuse de la vie dans la seconde partie où, grâce à Jésus, elle accueille en elle l’étincelle divine dans un dialogue mystique avec Dieu.

- Le personnage de Marie-Madeleine, d’abord courtisane puis disciple du Christ puis enfin, apôtre des apôtres, semble très contemporain. S’agit-il d’une interprétation de votre part ou d’une réalité historique ?

Bien que les historiens ne s’accordent pas tous sur cette thèse, la tradition la plus ancienne de l’Église, relayée depuis des siècles par la piété populaire, voit dans les trois figures féminines évangéliques que sont la pécheresse pardonnée de Luc, Marie de Béthanie, la sœur de Marthe et Lazare, et la courtisane de Magdala, une seule et même femme : Marie-Madeleine. 
Au-delà des évangiles et du contexte historique de l’époque que j’ai veillés à respecter, Marie-Madeleine représente un archétype dont je me suis emparée pour la faire vivre et la donner à voir par mes yeux de femme moderne et de romancière en imaginant quelle avait été la vie de cette jeune juive du Ier siècle, rebelle et libre, qui réfute le statut d’épouse et de mère en devenant courtisane à la cour d’Hérode, croyant gagner ainsi sa liberté. Jésus lui apprendra la justesse des relations hommes-femmes au fil d’une relation, non plus fondée sur un rapport de séduction ou de consommation, mais de bienveillance et de complémentarité entre les sexes. C’est en découvrant la véritable dimension du mot amour et sa puissance de guérison qu’elle parviendra à se décentrer d’elle-même et à se réconcilier avec une féminité libérée, resplendissante et épanouie. Elle est, à mes yeux, une authentique féministe avant l’heure car sa trajectoire dessine un parcours de libération intérieure aussi inspiré qu’inspirant pour notre modernité. 

3- On connaît peu l’influence de Marie-Madeleine qui, à la fin de sa vie, vient évangéliser la Provence et finir ses jours dans la grotte de la Sainte-Baume. Quelle est la part de réalité, la part de légende dans ce parcours ?

En m’inspirant et réinterprétant la légende provençale de Marie-Madeleine, j’ai imaginé qu’après la mort du Maître, pour échapper à la répression romaine contre les premiers chrétiens, elle avait fui en bateau avec sa sœur Marthe, son frère Lazare et quelques nouveaux convertis pour rejoindre des rives moins exposées. La traversée de la Méditerranée est périlleuse, leur embarcation finit par s’échouer sur une plage en Gaule. Marie prêche en terre provençale avec ses compagnons puis décide de continuer seule sa route et d’élire domicile dans une grotte du massif de la Sainte-Baume. Elle y passera les trente dernières années de son existence, ultime étape de son parcours où, au sein de cet ermitage, elle goûtera l’union totale à Dieu, expérience mystique éblouissante qui, au-delà de toute confession, nous parle du dialogue intérieur entre l’être humain et la transcendance. 
La Marie-Madeleine provençale est une figure très ancrée dans la piété populaire depuis des siècles. Si ces faits sont historiquement invérifiables, il est néanmoins plausibles qu’après la mort du Christ, certains convertis aient fui la Palestine et amerri en Gaule, notamment en Provence où sont attestées les traces des premières communautés chrétiennes. Marie-Madeleine a très bien pu être de ceux-là.

4 - Comment expliquer qu’au tout premier siècle, certaines femmes autour de Jésus avaient une grande importance alors que vingt siècles plus tard, contrairement à bien d’autres religions, les femmes n’ont toujours pas la possibilité d’être ordonnées prêtres, évêques ou pape ? 

Jésus n’hésitait pas à s’entourer de femmes qui le suivaient dans sa mission, à les enseigner sur le plan spirituel à une époque où Dieu était majoritairement une affaire d’hommes, à entretenir une vraie complicité avec elles en toute liberté alors que les univers masculin et féminin étaient alors très cloisonnés. Au matin de Pâques, Jésus ressuscité fait l’insigne honneur à Marie-Madeleine de lui apparaître en premier. Il la charge d’annoncer la Bonne Nouvelle aux apôtres et de par le monde. Cela n’est pas anodin. Serait-ce à dire que la femme, qui porte la vie et la met au monde, est naturellement porteuse de la nouvelle de la Vie avec un grand V qui triomphe de la mort ? C’est une idée qui devrait faire réfléchir le monde religieux chrétien encore si fermé à l’idée de l’ordination des femmes. L’organisation ultérieure de l’Église n’a pas tenu compte de cette présence exclusive d’une femme le jour de la Résurrection.
On peut le déplorer. Cette préférence que Jésus a montré à l’une des plus emblématiques et bouleversantes femme de l’évangile, celle qu’on nomme pour cette raison, l’Apôtre des apôtres, devrait, à mon sens, ouvrir la voie à un changement des mentalités sur ce plan. 


Cécilia Dutter, L’Amoureuse, le roman de Marie-Madeleine, Tallandier, août 2021, 278 p.-, 18,90 €

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