"Argent brûlé", de Ricardo Piglia : Tango siniestro

C’est l’histoire d’un casse. Un casse qui tourne mal, bien sûr. Buenos Aires, 1965, des braqueurs expérimentés, violents comme il se doit, toxicos de surcroît, attaquent un convoi de fonds. Une fusillade, des convoyeurs tués, mais ce n’est que le début. La bande armée prend le maquis, ses membres tuent ceux qui ont la mauvaise idée de se mettre sur leur chemin. Une violence rare, presque gratuite. La police, et son chef, Silva, lancent une poursuite sans précédents. Les braqueurs finissent par trouver refuge de l’autre côté du Rio de la Plata, à Montevideo. Les polices argentine et uruguayenne joignent leurs forces pour retrouver ces monstres. Et comme de juste dans un bon polar, ça finira mal, dans une fusillade dantesque qui durera près de 24 heures, entre la police et ces forcenés qui n’ont rien à perdre à part la vie. Et quand on connaît les méthodes de torture de la police argentine durant ces années troubles où se succèdent dictature de plomb et démocratie aux pieds d’argile, personne ne leur en voudra vraiment. 

Du bon roman noir, me direz-vous ? Sauf qu’il s’agit d’une histoire vraie.

Fait divers sanglant pour société brisée

Pour ce livre, écrit sur le mode du thriller, publié en 1997 et adapté au cinéma en 2000 sous le titre « Vies brûlées » par Marcelo Peneyro, Ricardo Piglia choisit de raconter un fait divers dont il avait entendu parler au début des années 70, et qu’il avait alors tenté, sans succès, de coucher sur le papier. Il finit par s’y remettre, une vingtaine d’années plus tard. Et le résultat donne le vertige. On plonge tout d’abord dans l’univers violent de ces braqueurs qui portent leur surnom en bandoulière, comme on porte une arme de poing avant l’assaut : Bazán le Bancal, Mereles le Corbeau, les amants Gaucho Dorda et Bébé Brignone, tous aux ordres de Malito, le cerveau, celui qui dispose des connexions avec les anarchistes, les péronistes, et tous ces révolutionnaires et autres anciens de l’armée sans lesquels ils n’auraient jamais pu se fournir en armes ni traverser la frontière.

En creux, Piglia livre une description sans concession de la société argentine des années 60 : à travers la mise en forme des différents témoignages, il y montre le poids de la crainte de la répression, de la torture et du sexe en prison, de la violence. Et puis il y a l’argent - sacro-saint argent -, devant lequel tous cèdent ou devraient céder. Mais pas nos gaillards qui, au comble du désespoir, de la folie et le nez plein de coke, narguent les 300 flics qui les cernent et la population qui attend le dénouement dans la terreur.

Alors on relèvera quelques lourdeurs dans le style, un final que d’aucuns trouveront trop long, et un rythme parfois inégal. Mais l’auteur prend la peine de présenter chacun des protagonistes, il raconte leurs vies cabossées, et donne une densité et une profondeur particulières à l’histoire. Le lecteur sera emporté, qu’il le veuille ou non, vers cette époque pas si lointaine où la violence pouvait sembler la seule issue à des vies volées, violées, gâchées et perdues. A lire sur un air d’Astor Piazzolla.


Glen Carrig

Ricardo Piglia, Argent brûlétraduit de l’espagnol (Argentine) par François-Michel Durazzo, J’ai Lu, décembre 2012, 224 pages, 6,70 €

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