Richard Matheson, D'autres royaumes : Même un génie peut se fourvoyer

Auteur de fantastique à succès, le vieil Arthur Black décide de raconter une aventure qui a structuré sa vie d’homme comme d’auteur…


Fées et sorcières


Le jeune Alex White s’engage dans l’armée américaine pour fuir un père tyrannique qui lui a gâché son enfance. Sur le front occidental, il se lie avec un certain Harold. Blessé mortellement par un obus, ce dernier le supplie de se rendre dans son village natal, Gatford et lui remet un lingot d’or. Démobilisé, Alex White, qui n’a aucune envie de revenir en Amérique retrouver son tyran de père, va donc à Gatford, petit village anglais replié sur lui-même. Pour acheter un cottage, il revend le lingot d’Harold à un bijoutier. Mais les évènements bizarres se succèdent : le lingot devient poussière et le bijoutier, après avoir demandé à être remboursé, meurt subitement…


Alex, lors de ses promenades en forêt, commence à entendre des voix. Le couvreur qui refait sa maison, Joe, les lui présente comme celle des fées (ou « fays ») qui vivent dans le bois. Alex  continue ses balades et rencontre une jeune veuve très accorte, Magda, qui l’accueille dans son lit. Magda a perdu son fils à la guerre et semble s’attacher à Alex White de manière névrotique. Alex découvre non seulement qu’elle est une sorcière mais aussi que les voix continuent à lui parler, à l’attirer. Car une jeune fée, Ruthana, est tombée folle amoureuse de lui…

 

Derniers feux d’un grand auteur


Dernier ouvrage du grand Richard Matheson, D’autres royaumes surprend par son ton, emprunté au romantisme, ainsi que par la sentimentalité qui se dégage de l’histoire. Alex White est un grand adolescent qui a les émois de son âge. Il passe ainsi de la sorcière Magda à la fée avec une facilité déconcertante. Matheson consacre beaucoup de pages à la description de ces désordres sentimentaux… et agace un peu. Le jeune homme, la mort et le temps, paru dans les années 70 chez Présences du futur, relevait déjà de cette veine « sentimentalo-fantastique », avec plus de réussite. Ici, Matheson s’aventure sur le terrain de Robert Holdstock (auteur du fantastique La forêt des Mythagos) et de Lord Dunsany mais n’en retrouve ni la grâce, ni la légèreté, ni l’émotion.


Parfois, Matheson donne l’impression d’avoir lu un ouvrage sur la sexualité des contes de fée et du coup d’en avoir conçu l’ambition d’écrire un conte où le sexe serait enfin dévoilé… En gros, D’autres royaumes veut à la fois recréer la magie de Dunsany tout en adoptant une approche « démythologisante » (et le fait d’offrir une mise en abyme en présentant Alex White comme un futur auteur de fantastique sous le pseudonyme d’Arthur Black va dans ce sens). Or les deux démarches, contradictoires, s’annulent. Dommage que ce roman soit le dernier de son auteur, disparu en juin 2013. Richard Matheson a écrit nombre de chef d’œuvres, à la fois dans le domaine de la nouvelle (Journal d’un monstre) et du roman (Je suis une légende, L’homme qui rétrécit). Il s’est montré également très à l’aise dans le policier (Les seins de glace, De la part des copains) : il ne sera pas oublié.


Sylvain Bonnet


Richard Matheson, D’autres royaumes, traduit de l’anglais (US) par Patrick Imbert, J’ai lu « Nouveaux millénaires », février 2013, 285 pages, 18 €

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1 commentaire

Merci pour cette critique fort sympatique.