"L'oeil du criquet", fenêtre ouverte sur une âme perdue

Polar et mise en abyme


Lew Griffin, noir, professeur de littérature dans une université de la Nouvelle-Orléans et détective à ses heures perdues, essaie d’écrire son nouveau roman quand l’hôpital appelle. Un clochard a été amené pour être soigné et prétend lui-même être Lew Griffin, l’écrivain. Griffin se rend sur place, voit le clochard plongé dans le coma. On lui remet un livre que ce dernier avait en sa possession ; un livre abîmé, décharné que Griffin reconnaît comme celui qu’il avait dédicacé à son fils, David, disparu depuis des années. Peu après, un  jeune nommé Sam Delany (hommage à l’auteur de Nova et de Babel 17 ?) vient le voir pour lui demander d’enquêter sur son frère, Shon, qui a fugué avec un cousin délinquant. Parallèlement, son quartier est secoué par une vague de crimes et les voisins lui demandent d’intervenir. Lew Griffin se laisse embarquer, tout en continuant d’écrire son livre qui mêle passé, présent, fantasmes…


On l’aura compris, ce roman policier est aussi un jeu littéraire, fait de mises en scène et de mise en abyme permanentes. L’auteur, d’ailleurs, le revendique à travers la voix de son héros, qui mélange réminiscences du passé et ruminations du présent.

 

Combattre la fatalité


« Mesurons-nous jamais la part de ce qui est conscient dans ce que nous faisons, ce que nous décidons, ce que nous mettons en branle et celle qui ne l’est absolument pas ? »


Finalement, Lew Griffin cherche à déjouer la fatalité. Contre toutes attentes, il retrouvera son fils ainsi que la fille de son plus grand amour. Pour cela, il descendra dans les quartiers mal famés de « Big Sleazy »  - surnom salace de la Nouvelle-Orléans - à la recherche de son double, de cet autre Lew Griffin, ce clochard céleste qui vivait avec un des ses bouquins, usurpant son identité, peut être parce qu’il n’en avait pas d’autres.


Pour un policier, l’Œil du criquet pose directement des questions existentielles sur le sens à donner à une vie d’homme, et c’est en cela que le livre touche. Loin des canons du roman noir, James Sallis, cet écrivain de science-fiction dévoyé, conserve cependant l’aspect investigations ainsi que celui de la quête : recherche de soi, de l’autre, rachat de ses fautes. Malgré sa sophistication l’Œil du criquet - qui peut irriter tout autant que fasciner - reste en définitive fidèle à la tradition du genre. A lire en tout cas, si possible en s’imaginant à une table du Café du monde, à la Nouvelle-Orléans.


Sylvain Bonnet


James Sallis, L’Œil du criquet, Traduit de l’anglais (US) par Isabelle Maillet et Patrick Raynal, Gallimard, Folio policier, mai 2012, 320 pages, 7,50€

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