"Bluebottle", Vanité oh vanité littéraire!

Il ouvre les yeux : Lew Griffin est sur un lit d’hôpital. Blessé lors d’une fusillade, son dernier souvenir est d’avoir accepté une offre d’enquête de la part d’une femme dont il ne se rappelle plus le nom. Des semaines ont passé, Griffin n’a qu’une envie : remplir les blancs dans sa mémoire et découvrir ce qui lui est arrivé…


Janus littéraire


Auteur remarqué du roman Drive qui a inspiré le film éponyme de Nicolas Winding Refn, James Sallis a deux séries : l’une consacrée à John Turner, proche du roman Hardboiled et écrit de manière efficace, concise, directe ; l’autre a pour héros Lew Griffin, noir de Louisiane, écrivain, professeur et détective à ses heures, écrite sur un ton plus soutenu, parfois emphatique et plein de citations littéraires. S’il avait pris un pseudo, James Sallis pourrait presque prétendre à un dédoublement de personnalité, à la manière du génial Donald Westlake/Richard Stark dont il faudra bien parler un jour sur ce site. En tout cas, faire coexister deux styles, deux orientations aussi différentes dans son œuvre impose le respect. Mais on a aussi le droit d’avoir ses préférences…


Loin des tripes, loin du roman noir : message in a bottle ?


Bluebottle est typique des romans mettant en scène Griffin. L’histoire est prétexte à une errance, tant physique que spirituelle du personnage. L’intrigue multiplie les flashbacks, les monologues intérieurs. L’enquête de Griffin compte ici autant que la dégradation de son couple avec Laverne. Il croisera mafiosos, anciens flics, gardiens de sécurité aux réflexes racistes, filles paumées… Le critique ici s’avoue gêné : le roman n’est pas mauvais en lui-même, il est juste trop écrit, voire prétentieux par rapport au genre auquel il se rattache. L’errance existentielle de Griffin touche mais couplée à une histoire décousue, à l’image de la mémoire du héros, on en perd de surcroit rapidement le fil. Le trop grand nombre de références et de citations finit aussi par agacer. Qu’est-ce que notre auteur cherche à prouver ? Il est évident qu’il sait écrire : veut-il passer à la grande Littérature, sans comprendre que le roman noir - dont il est un bon représentant - en est partie intégrante ?


On reste donc sur une impression mitigée, convaincu du talent de Sallis mais frustré devant un livre insatisfaisant. On le regrette tout en attendant la suite.

 

Sylvain Bonnet


James Sallis, Bluebottle, Gallimard, folio policier, novembre 2012, traduit  de l’anglais (US) par Isabelle Maillet, 224 pages, 5,95 €

 

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