Floc'h & Rivière, "Villa Mauresque" : le monde enchanteur de Somerset Maugham

Somerset Maugham revient dans l'actualité. Il a laissé une oeuvre considérable par le nombre de volumes, théâtre, romans, nouvelles, essais critiques, récits divers. Son succès ne fut pas moins colossal, à partir des années 30. Non seulement il amassa, grâce à ses écrits, une fortune plus que coquette, mais plusieurs de ses romans et nouvelles inspirèrent une dizaine de réalisateurs de cinéma, depuis George Cukor (Haute Société, 1933) jusqu'à John Curran (Le Voile des illusions, 2006), en passant par Albert Lewin (The Moon and Sixpence, 1942) et Edmund Golding (Le Fil du rasoir, 1946).

 

Britannique, comme son nom le suggère, mais né à Paris en 1874 et voyageur cosmopolite, William Somerset Maugham mourut à Nice en 1965. C'est dire combien étaient étroits ses liens avec notre pays, où il avait passé son enfance et où il vécut longuement à plusieurs reprises.

 

Un personnage fantasque. Médecin, il exerça peu son art, préférant vivre de sa plume. Homosexuel déclaré dans le sillage d'un Oscar Wilde (une des raisons qui lui firent déserter l'Angleterre, trop puritaine), un peu espion durant la Grande guerre, plein de charme et de séduction en dépit d'un bégaiement tenace, il se maria et eut, en 1915, une fille, Liza, l'année même du début de sa liaison avec Gerald Haxton, un jeune Américain. Une passion qui ne s'achèvera qu'en 1944, à la mort de ce dernier. Jusqu'à sa propre disparition, une existence peuplée d'aventures de tous genres. Au point qu'un bon connaisseur de son oeuvre a pu écrire que "le meilleur de Somerset Maugham, c'est encore lui-même. Sa vie est plus riche que la somme de ses livres et sans doute est-ce mieux ainsi."

 

Cette vie mouvementée a inspiré à Floc'h et Rivière un livre spirituel, documenté, où elle est abordée de façon kaléidoscopique, à travers les témoignages de l'écrivain et de ses proches. Témoignages apocryphes, bien entendu, mais dont l'entrecroisement produit une impression de vérité. Il faut dire que l'un et l'autre des auteurs sont passionnés par la littérature anglaise qu'ils connaissent dans ses moindres recoins. Floc'h est un dessinateur de BD de renom et aussi un illustrateur de presse et de cinéma (on lui doit plusieurs affiches et des génériques, notamment pour Alain Resnais et Woody Allen). Quant à François Rivière, spécialiste de BD et de polars, il est l'exégète d'Agatha Christie et le biographe de plusieurs écrivains, dont Frédéric Dard.

 

Le tandem n'en est pas à sa première collaboration. Depuis 1977, il publie une série intitulée Albany & Sturgess, consacrée à Francis Albany et à Olivia Sturgess, et où fiction et réalité se mêlent de façon inextricable, dans un climat résolument british qu'ils excellent à reproduire. Ce même climat qui baigne Villa mauresque.

 

Le titre est emprunté au nom de la maison luxueuse que Somerset Maugham possédait sur la Côte d'Azur, où il passa la fin de sa vie et où défilèrent toutes les célébrités du monde des arts et des lettres. Sans compter Churchill et le Duc de Windsor, entre autres grands de ce monde. Autant d'hôtes prestigieux qui côtoyèrent avec assiduité l'un des princes du snobisme. Lequel, assure par le truchement des biographes son amie intime Barbara Back, "était orgueilleux, insatisfait mais nullement vaniteux. Sa célébrité lui servait de paravent et de paratonnerre, et il s'agaçait du comportement de ceux qui se flattaient d'être ses amis.

 

Rivière recrée avec bonheur non seulement l'écrivain, dont il fait un personnage attachant, mais encore l'ambiance d'une époque où décadence rimait avec élégance. Quant à Floc'h, ses dessins en noir et blanc fournissent au récit un contrepoint original. S'il cultive le réalisme, certaines de ses planches témoignent d'une fantaisie en accord avec le sujet. Ainsi figure-t-il, dans l'une d'elle, Somerset Maugham en faune jouant de la flûte de Pan. En vis-à-vis, Gerald, son amant, le chef couronné de fleurs, une coupe de libations en main, chevauche fièrement un destrier. On mesure la portée allégorique de ces représentations...

 

La Table Ronde accompagne la sortie de cet album hautement recommandable de la réédition de deux romans qui pourraient en constituer une manière d'illustration. Le premier, Le grand écrivain, parut d'abord en français en 1989 sous le titre La Ronde de l'amour. On y rencontre trois écrivains plongés dans des imbroglios sentimentaux. Le second, Il suffit d'une nuit, traduit pour la première fois en 1949, a pour héroïne Mary, une jeune veuve mélancolique, partagée entre deux hommes aussi différents qu'il est possible. Il a été adapté pour le cinéma en 2000, sous son titre originel Up at the Villa, avec Kristin Scott Thomas et Sean Penn. Deux occasions de se plonger dans l'univers du romancier.

 

Jacques Aboucaya

 

Floc'h & Rivière, Villa Mauresque, La Table Ronde, mai 2013, 150 p., 20 €.

W. Somerset Maugham, Le grand écrivain, traduit de l'anglais par E.-R. Blanchet, La Table Ronde, coll. "la petite vermillon", mai 2013, 266 p., 8,70 €. Il suffit d'une nuit, traduit de l'anglais par A. Renaud de Saint-Georges, La Table Ronde, même coll., mai 2013, 158 p., 7,10 €.

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