Céline (1894-1961), auteur de Voyage au bout de la nuit a révolutionné la littérature française. Il est controversé pour ses violents pamphlets antisémites. Biographie de Louis-Ferdinand Céline

Louis-Ferdinand Céline : compléments d'enquête

Ces deux volumes de la Pléiade – publiés d'abord en1988 – ont été remis en chantier. Dans le premier (1932-1934), les textes réapparus en 2021 figurent sous l'intitulé Textes retrouvés qui traduit leur statut et rappelle qu’il s’agit de manuscrits, non de romans mis au point par Céline. De même, dans le deuxième (1936-1947), les séquences nouvelles de Casse-pipe sont réunies sous la rubrique Scènes retrouvées.
D'ailleurs, en publiant ce livre dans la Pléiade en 1988, Henri Godard pressentait qu'il s'agissait d'un  texte mutilé. Son intuition fut la bonne. D'où la présence  de ce qui est sorti il y a deux ans  des oubliettes. À savoir des milliers de pages inhérentes à des projets inconnus : La Guerre (publié l'année dernière) et Londres, ainsi que des projets méconnus : La Légende du roi René et La Volonté du roi Krogold publiés cette année ainsi que des morceaux édités qu'en partie  dans Casse-pipe.
Grâce à ces découvertes, le cycle de Ferdinand n’est plus  composé que de Mort à crédit, de Casse-pipe et de Guignol’s band. Guerre et Londres le complètent de manière conséquente. Notons que certains manuscrits présents ici et non publiés du vivant de l'auteur furent insérés dans les textes connus et "officiels". Se retrouvent dans Guerre, des situations de Casse-pipe. Le Dr Yugenbitz de Londres annonce le Clodovitz de Guignol’s band. Et le récouvert  Krogold a été très largement repris dans le Voyage.
Certains de ces  textes étaient visiblement encore en chantier. Néanmoins tout l'univers de Céline est là et bien là.  Et même s'ils ressemblent à des brouillons parfois difficilement déchiffrables (que Pascal Fouché a superbement décryptés), ce sont – comme il est écrit en préface – des brouillons que d’eux-mêmes. Ils permettent non seulement une meilleure compréhension de l'œuvre mais valent en leur entité comme des récits inattendus et captivants où à la fois l'érotisme comme le fantastique trouvent une bonne place. Et c'est un euphémisme.
Existe en effet chez Céline la parole de soi ou d'un nous enseveli, enfermé dans nos cryptes intérieures. Comme Joyce il inventa une langue inconnue créatrice qui nous fonde, un langage galactique tout en chocs et résonances avec ce noyau capable de créer des séismes dans la chair de l'âme.
C'est le langage de l'insurgé des fins de monde en murmures jargonesques ou cris d'abyme dans ce qui se tisse en archipels-fragments d'un roman à l'autre. Céline raye, lacère, fulgure, creuse le vivant dans sa trame et ausculte le monde dans une langue sueur contre les archétypes qui avec lui se mirent à vaciller.
On a retenu de l'œuvre souvent la haine en oubliant ce qu'il existe en elle de chaleureux et de complice et où parfois s'y sentent les brumes d'une mélancolie mais plus érotiques voire obscènes que romantiques. 
Et c'est pourquoi l'auteur donna à lire pour la première fois le langage de ceux qui en étaient privés. Et ce, en retournant les Évangiles du bien dire en mauvaise parlure pour répondre à ce que la littérature classique de son temps cachait dans son hypocrisie. Avec Céline le langage même des pleutres crée la fraternité au peu que nous sommes  en nos redditions diverses et obligées.
À ce titre chaque lectrice ou lecteur rêvent de ce que Céline dirait de notre monde. Il exulterait de son rire froid et sardonique en ayant déjà présupposé de sacrés préludes dans sa littérature hors de ses gonds.

Jean-Paul Gavard-Perret

Louis-Ferdinand Céline, Romans - 1932-1947, coffret de deux volumes, édition d'Henri Godard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, mai 2023, 146€

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