A la recherche du "Manteau de Proust"

Le lecteur ne peut pas se douter de l'impressionnant du voyage qui l'attend derrière un si mince volume et un sujet a priori si anodin. Qui, à part les idolâtres, peut s'intéresser au devenir du manteau de Proust, celui qu'on lui voit porter sur quelques photographies ? La chose fait-elle l'homme ? Bien plus, en fait, toute une sociologie de la littérature se déploie au fur et à mesure que l'enquête pour découvrir ce qu'est devenu ce manteau avance.

Prenons d'entrée le chemin de la comparaison, qui n'est pas raison : Le Manteau de Proust n'est pas La Canne de Balzac de Lucien Dällenbach, ni dans le symbole et le siècle qu'il porte en lui ni dans l'implication pour ses lecteurs. Il ne s'agit pas de porter tout un monde, mais de regarder dans le détail la vérité de l'homme, car Le Manteau de Proust, c'est surtout la folle enquête d'une passionnée qui mettra tout en œuvre pour comprendre comment cette relique a pu être sauve du naufrage, et, corrélaire, comment le naufrage a pu être provoqué par les proches mêmes de Marcel Proust, l'écrivain dont on parcourt admirablement en ces quelques pages l'univers particulier. 

A la mort de Marcel Proust, papiers personnels (les fameux paperoles, les notes et les croquis, sa correspondance amoureuse...), meubles, livres, tout ou presque va disparaître, qui dans le feu parce qu'il ne faut pas que la légende en train de s'écrire puisse avoir à instruire ces éléments intimes qui en font un homme faible, de santé et de moralité, quand son frère est le « bon docteur » qui porte tel un pater familias le poids des traditions de rigueur, d'austérité et de respectabilité. Le portrait en miroir de l'un et l'autre frère est assez marquant, et laisse une image de Marcel un peu plus fragile encore.

Le Manteau de Proust, c'est l'enquête minutieuse et compliquée de détours qui mène un passionné, presque fétichiste, jusqu'à pouvoir exhumer le vrai manteau, celui qui, collé par Cocteau ou Morand comme image synecdoque de Marcel Proust, annonce l'écrivain. Des collectionneurs qui s'échinent pour obtenir le plus de restes possibles, c'est la figure emblématique de Jacques Guérin, bibliophile dont les efforts permettront de sauver le manteau (qui est à présent conservé au Musée Carnavalet) ainsi que beaucoup de manuscrits. Et cette enquête, passionnante en elle-même, est aussi un moyen de nous faire découvrir les passion amoureuses de Proust, tout ce qu'elles comportent d'interdits et tout ce qu'elles soulèvent comme haine au sein même d'une famille qui se rassemble autour de son malade et s'en éloigne en même temps, par une répulsion homophobe terrible. 

Un livre très riche et étonnant qui rappelle que l'Histoire Littéraire, par quelque bout qu'on la prenne, est surtout une histoire des hommes qui vivent et écrivent. Sous le manteau se cache, au propre comme au figuré, Marcel Proust, vivant.

Loïc Di Stefano

Lorenza Foschini, Le Manteau de Proust, Portaparole, mars 2008, 108 pages, 12 € 

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1 commentaire

Je m'apprêtais à écrire une critique de ce livre, que je viens tout juste de refermer. Toutefois, je ne saurais mieux en rendre compte que le fait cet article, qui donnera aux proustiens l'occasion de se pencher sur les pérégrination fétichistes d'un collectioneur.