Victor Hugo sous le regard de Michel Marmin

Rien de plus difficile que la vulgarisation. Mettre à la portée du plus grand nombre ce qui était à l'origine destiné aux happy few exige une forme très particulière de talent. Un discernement sans faille permettant de trier l'essentiel et l'accessoire. Car il s'agit de rendre une oeuvre accessible, certes, sans pour autant la simplifier au point de la dénaturer. Ou, pis encore, de la trahir. Ce qui suppose une connaissance parfaite du corpus envisagé. Voire une complicité avec l'auteur - à tout le moins une "empathie", comme on dit aujourd'hui. Et, en même temps, la faculté de communiquer son enthousiasme afin d'entraîner l'adhésion du lecteur.

 

Michel Marmin possède à un haut degré cette vertu de "passeur". Il en a donné maintes preuves, qu'il s'agisse du Napoléon au-delà de la légende, publié l'an dernier chez le même éditeur, ou, plus anciennement, pour les éditions Atlas, de la remarquable série consacrée aux Génies du jazz.

 

Voici qu'il nous en donne aujourd'hui un nouveau témoignage. Un beau livre, au sens le plus plein du terme. Beau, dès le prime abord, par les illustrations choisies, à la fois pour leur qualité esthétique et pour leur valeur documentaire. Jamais redondantes ou pléonastiques, mais fournissant une ouverture, un prolongement aux informations fournies par les textes. Lesquels, nourris par une copieuse documentation, ne leur cèdent en rien pour la qualité. Tel se présente ce Victor Hugo pour l'éternité.

 

On aurait pu croire que tout avait déjà été dit et écrit sur ce géant de la littérature, l'un des écrivains les plus célèbres, dès son vivant, dans le monde entier. Que le romancier, le poète, le dramaturge, le penseur, le politique avaient livré, jusqu'au dernier, leurs secrets, tant ils ont suscité d'études et de gloses. Marmin nous prouve le contraire. Il utilise les travaux de ses prédécesseurs, mais parvient à aborder cette oeuvre monumentale avec un regard neuf. Tout ensemble passionné et lucide, ce qui relève du tour de force. A en renouveler l'intérêt.

 

Pour ce faire, et sans déroger à l'ordre chronologique qui s'impose naturellement, il découpe en tranches la vie et l'oeuvre. En précise les repères, les moments clés. En explore les entours, dans les domaines les plus divers. Cite des témoignages éclairants. Trace des perspectives que seules permet le recul du temps.


Rien de plus vivant que cette exploration méthodique qui va droit à l'essentiel sans toutefois sacrifier les nuances. Marmin aborde même des points négligés d'ordinaire, comme l'attitude contrastée de Victor Hugo envers la colonisation dont il se fait d'abord l'ardent avocat. La prise d'Alger, en 1830, ne lui inspire en effet nulle réprobation, pas plus, du reste, qu'à ses compatriotes. C'est qu'il s'agit d'"apporter la civilisation à la barbarie", d'imposer "non la conquête, mais la fraternité". Une utopie que viendra tempérer, plus tard, le récit des atrocités commises par l'armée française lors des razzias - sans qu'il abandonne pour autant ses illusions.

 

Encore n'est-ce là qu'un exemple de la finesse d'analyse qui caractérise cet ouvrage. D'autres détails pourraient le corroborer. Car l'auteur ne cède jamais à la tentation du schématisme. Il met en regard commentaires et opinions, trace des prolongements littéraires et artistiques qui incluent la période moderne et même post-moderne, mettant en lumière l'héritage laissé par l'auteur des Misérables.

 

Ce n'est pas le moindre mérite de ce livre lucide mais vibrant que de restituer un Hugo complexe, voire contradictoire. Attachant parce que, par-delà les outrances, les naïvetés, il reste profondément humain. Grâces soient rendues à son biographe d'avoir osé se mesurer à "l'ampleur inégalée de ce que Hugo a semé et récolté". Et de se montrer, pour le bonheur du lecteur, à la hauteur de l'entreprise.

 

Jacques Aboucaya

 

Michel Marmin, Victor Hugo pour l’éternité, Éditions Chronique, octobre 2012, 160 pages, 27 €.

 

Lire l’entretien de Frédéric Saenen avec Michel Marmin.

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