le Thriller rinventé par Philip Le Roy : Le dernier testament
Nathan Love (père Navajos, mère japonaise), free-lance du FBI, super profiler (« Dans notre métier, vous êtes une référence, mais aussi une enigme [...]. Personne n'est allé aussi loin dans l'empathie de la psychopathie » lui avoue une consœur profileuse), maître en arts martiaux, adepte du za-zen, est appelé par un ponte du FBI pour reprendre l'enquête de son ami Clyde Bowman, mort lui aussi dans le laboratoire. Il fait équipe avec Kate Nootak, jeune esquimaude qui va perdre les convictions acquises récemment au sortir de Quantico et s'avérer une parfaite enquêtrice.
L'intrigue nous promène de l'Alaska à la Californie, mais aussi à Manille, en Espagne, en France, à Rome, avec une maîtrise des événements assez impressionnante. Les meurtres s'accumulent sur le chemin qui mène Nathan Love à la découverte de cette vérité, vielle de deux mille ans, et qu'un certain Yehoshua Ben Yossef, dit Jésus, avait laissé à la postérité sur un parchemin mis à l'abri dans une jarre : le Testament de Jésus. La mystique n'est pas ici un argument « farce et attrape » (1) pour copier une veine qui gangrène le polar : Philip Le Roy s'appuie sur une intrigue sacerdotale et la fait converger sur les plus actuels problèmes de la médecine et de la recherche, qui dérange les fondements de la bio-éthique. C'est le combat des puissances obscures qui veulent maîtriser la vie (au nombre desquels les Raéliens) qui fait le fond de ce polar, et l'actualité la plus brulante se retrouve incorporée (attentats islamistes en Espagne, etc.) pour troubler la frontière de la fiction et de l'enquête. On ne nous dit pas, en préambule oiseux, que les éléments sont réels (1, encore), mais la fiction se mêle tant aux éléments du réel que tout devient probable, ce qui est le comble du réalisme pour un roman.
Au-delà de l'intrigue, un grand nombre de sujets traversent ce roman, de l'engagement personnel de l'homme dans le monde (avec quelques tirades contre le racisme) aux théories de la Voie des Samouraïs, le Bouddhisme, qui décalent encore un peu ce polar des normes actuelles où le tueur est en série et les mystère à l'ouest. Le polar engagé existe depuis longtemps, mais il était jusqu'alors de veine purement politique et gauchiste. Si ces éléments se retrouvent ici, ils sont secondaires par rapport à un engagement pour les valeurs de l'humain, le droit des victimes et la place de l'homme dans le chaos général des choses, le Grand Vide que Nathan Love applique sur tous les événements.
Si l'on retrouve beaucoup de figures connues dans ce gros polar très bien troussé (2), la maîtrise générale ne cesse d'impressionner, car rares sont en France ceux qui peuvent tenir la distance sur 700 pages avec une intrigue qui ne s'essoufle pas et qui réserve à chaque étape de nouvelles surprises. Rien n'est convenu, rien n'est gratuit, un parfait assemblage de réflexion et d'action, d'émotion et de surprises. La perfection n'existe pas, mais là, le Diable ne saurait mentir : nous n'en sommes pas loin.
Le Dernier testament a reçu le Grand prix de la littérature policière 2005
Loïc Di Stefano
Philip Le Roy, Le Dernier testament, Le Seuil, « points », septembre 2011 (Au Diable Vauvert, février 2005, 693 pages), 8,50 €
(1) Un certain Dan Brown ne s'en prive pas.
(2) En vrac, Fargo, Dragon Rouge de Thomas Harris, Jean-Christophe Grangé pour le côté « international », bien sûr le chef-d'oeuvre de Daniel Easterman Le Testament de Judas, James Ellroy ou Quantin Tarentino (de Reservoir Dogs) pour la construction, etc.
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